Regain, Le Hussard sur le toit, Que ma joie demeure, L’eau vive renvoient ma génération à d’intenses souvenirs. L’édition des œuvres complètes de Giono à la Bibliothèque de La Pléiade a consacré sa reconnaissance comme un écrivain majeur, dont la production, neuve et singulière, laissera son empreinte. Même si elle a fait l’objet de plusieurs publications, la relation de l’écrivain à la musique appelait un travail approfondi, général. C’est chose faite.
L’humble garçon (père cordonnier, mère repasseuse), attaché à Manosque, va s’éprendre de littérature, puis de musique, pour engendrer une œuvre foisonnante, très personnelle, qui dépassera le régionalisme pour se hisser à l’universel. Malgré une découverte tardive de la musique, celle-ci constituera pour l’écrivain une essentielle source d’inspiration. Après s’être nourri de Virgile, des classiques grecs et latins, comme de l’Arioste, la révélation de la symphonie Haffner par George Sebastian va bouleverser son existence : la musique deviendra sa compagne. La révolution que la diffusion du disque suscita dès les années 30, permettra à Jean Giono de construire sa culture d’autodidacte, patiemment, passionnément, tout au fil du temps.
Frédérique Parsi signe la première étude exhaustive consacrée à ce sujet. S’inscrivant dans le droit fil de la recherche de Pierre Citron, exégète de Giono (on se souvient aussi de ses Couperin, Bartók, comme de la correspondance de Berlioz, dont il fut le maître d’œuvre), elle passe au crible toutes les sources, écrits, commentaires, entretiens, témoignages jusqu’à l’inventaire de la discothèque de l’écrivain, révélatrice de ses goûts comme de ceux des producteurs du temps.
Il serait fastidieux de tenter de résumer un tel ouvrage : on ne synthétise pas un travail monumental de plus de six-cent pages en quelques lignes. Organisé en trois parties, indissociables, après une introduction qui interroge sur le champ des relations entre musique et littérature, l’auteur ratisse les textes pour en dégager les nombreuses références, plurielles, ayant trait « à l’écriture, à la production et à la réception de la musique ». La deuxième partie relate les fonctions assignées à la musique, à son rôle spécifique, de la métaphore à la structuration, véritable moteur de la création littéraire. Enfin, la troisième – « L’écrivain compositeur » – scrute-telle les tentations (« composer ») de Giono, mais surtout les liens subtils qu’il tisse entre l’écriture musicale et la narration littéraire. La voix, de la chanson à l’opéra, occupe une place de choix. Ainsi La voyage en calèche, comme Noé, sont convoqués pour entrer à l’opéra, dans la descendance stendhalienne. Si tout fait sens, le mélomane appréciera particulièrement le tour d’horizon de la littérature choisissant la musique et les musiciens pour thème, d’une réelle richesse, qui est aussi une invitation à la lecture. La relation de Giono aux écrivains de son temps, sous l’angle littéraire comme musical, fait l’objet d’une étude approfondie. La plongée dans l’univers culturel auquel il participe est passionnante.
Frédérique Parsi signe là l’ouvrage de référence, évidemment, mais aussi un modèle méthodologique, dont les riches annexes (entretien avec la fille de l’écrivain, discothèque, bibliothèque musicale, bibliographie, index…) sont autant de précieux outils.
Il est rare qu’un travail érudit, d’une rigueur exemplaire, nous captive à ce point. S’il ne se lit évidemment pas comme un roman, ses résonances savoureuses, sa richesse sont autant de raisons de nous y plonger. Le lecteur en sort avec le sentiment d’avoir non seulement approfondi sa connaissance, mais aussi d’avoir emprunté des sentiers de traverse qui lui ont permis de multiplier les perspectives et de participer à cette quête de la joie. Une invitation à la découverte ou à la relecture de l’œuvre foisonnante de Giono, qui s’accompagne d’une ouverture à la place de la musique dans notre propre vie.