On se souvient que Johann Sebastian Bach n’a pas voyagé hors d’Allemagne et n’a pas connu Naples. Bien qu’il ait su nourrir son œuvre aux sources de nombreux compositeurs dont des Français et Italiens, le Cantor trouverait peut-être le titre de ce nouvel enregistrement de l’ensemble Ma non troppo accrocheur mais un tout petit peu excessif. Certes, on convoque sur la pochette le concept intéressant du « voyageur immobile » mais tout bien considéré, cela suffit-il ? Il nous est d’abord proposé une cantate italienne profane (Non sa che sia dolore) mais l’attribution en est incertaine. Le motet célèbre qui suit, Tige, Höchster, meine Sünden, est évidemment une réécriture du Stabat Mater de Pergolese (qui mourut dans un monastère non loin de Naples), mais bien différente de sa source. Enfin nulle allusion évidente à l’Italie avec la cantate BWV 54 (Widerstehe doch der Sünde) composée à Weimar vers 1714 alors que Bach est Kammermusikus et Hoforganist à la Cour – bien que ce soit à cette période qu’il découvre et copie les grands Italiens. Ladite cantate adapte un Miserere (Psaume 50) présent dans la liturgie italienne de l’époque, nous rappelle-t’on ? Voici un mince rapprochement.
Mais ne chicanons pas, le plaisir à l’écoute de ce disque est bien réel. Le violoniste Louis Creac’h et les musiciens de son ensemble excellent à nous faire entrer dans cet univers particulier dès la Sinfonia de la Cantate BWV 209, sans doute écrite par un compositeur inconnu à ce jour. Le récit « Non sa che sia dolore » puis les airs nous emportent grâce à la soprano Marie Perbost dont le talent brille à chaque page de ce programme. Sa voix limpide sert admirablement le texte, qu’il soit profane avec cette cantate lui permettant de dessiner une riche palette de sentiments (de la douleur à la sérénité), ou qu’il soit sacré. Dans son duo avec le contre-ténor Paul-Antoine Bénos-Djian, elle met en lumière la dimension opératique du motet BWV 1083, Tilge, Höchster, meine Sünden. Un motet-opéra qui témoigne de l’angoisse du combat humain entre la tentation du mal et l’aspiration au salut, telle qu’on les conçoit dans l’Allemagne baroque.
Dans ce motet, dialoguant par les voix de soprano et d’alto directement avec Dieu, le fidèle atteint finalement la sérénité, non sans avoir médité sur le péché qui a présidé à sa naissance et dont il est lui-même prisonnier. Marie Perbost donne décidément toute sa valeur expressive à la ligne comme aux mots. Les interventions de Paul-Antoine Bénos-Djian sont délectables même si le timbre du falsettiste s’assourdit dans certains passages et perd même en texture parfois dans l’aria da capo (Cantate BWV 54). Il ne nous fait pas vraiment entrevoir les abîmes de l’enfer. Dans cette ultime cantate du disque (« Résiste donc au péché »), dont le premier air servira à nouveau dans La Passion selon Saint-Marc, le pessimisme tout luthérien de ce cri vers le Ciel ne trouve peut-être pas toute la profondeur espérée.
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