Avec ce dixième et ultime volet, Hyperion clôt son intégrale des Lieder de Brahms. Le principe était de faire alterner différents chanteurs, certains célèbres (Angelika Kirschlager, Christopher Maltman, Christine Schäfer, Ian Bostridge), d’autres au début de leur carrière (Benjamin Appl, Harriet Burns, Robin Tritschler), en assurant la continuité par la présence de Graham Johnson, qui veille aussi au grain musicologique en rédigeant tous les textes d’accompagnement.
C’est à une jeune chanteuse autrichienne encore peu connue qu’échoit la lourde tache de clôturer le cycle. Sophie Rennert a terminé ses études en 2014, mais sa maitrise vocale étourdit déjà. Tout paraît abouti, à la fois sur le plan technique et quant au rapport au texte. L’artiste sait doser ses effets avec une économie que possèdent peu de ses consœurs, et elle semble à l’aise dans l’infinie diversité du Lied brahmsien, du lyrisme de Von ewiger Liebe au ton tzigane de l’opus 103, en passant par la spontanéité des Deutsche Volkslieder. Aucune impression de monotonie au cours des 80 minutes du disque, les ambiances étant variées avec une palette de nuances que peu de chanteuses, même matures, peuvent se vanter de posséder. Il faut aussi dire que la stupéfiante ressemblance de timbre avec Anne-Sophie Von Otter aide sans doute, la mezzo suédoise ayant laissé d’excellents témoignages dans ce répertoire. Cette filiation est-elle le résultat de dispositions naturelles, ou d’une volonté de mimétisme ? Difficile à dire à ce stade de la carrière. Ce qui est sûr, c’est que la voix sonne avec un naturel parfait, sans donner l’impression d’un quelconque artifice.
L’atout de cette intégrale est en outre d’éviter le côté scolaire d’une exploration purement chronologique. On passe donc avec bonheur d’une époque de la vie de Brahms à l’autre, de l’opus 3 à l’opus 106. En une heure vingt, on parcourt, en agréable compagnie, tout ce que Brahms a pu apporter à un genre qu’il considérait comme aussi important dans son œuvre que ses symphonies ou son Requiem. On avouera avoir eu coup de cœur particulier pour Immer leiser wird mein Schlummer, pur joyau de tristesse à savourer lors des longs après-midi de décembre. Mais les découvertes sont innombrables, et l’amateur fera son miel en butinant l’album d’un bout à l’autre.
Parrain attentif, Graham Johnson soutient sa partenaire avec un piano robuste et très bien enregistré, mais il connaît aussi l’art de se mettre en retrait au moment idoine pour laisser la voix s’épanouir dans toute sa juvénile splendeur. Dans les deux Lieder de l’opus 91, l’altiste Lawrence Power fait miroiter la mélancolie de son instrument avec tant de pudeur qu’on comprend la fascination de Brahms pour cet instrument, qui savait si bien traduire les demi-teintes qui font l’essence de sa musique.
*/