Consacré à des pièces de musique sacrée, et par trop désincarné, le deuxième disque de Julia Lezhneva n’avait guère convaincu. Pour son nouveau CD, exclusivement consacré à Haendel, la soprano russe semble avoir voulu rectifier le tir.
Bien sûr, on retrouve ces qualités qui finissent par devenir presque des défauts, cette précision d’horlogerie qui fait d’elle une machine à vocalises atteinte de bartolisme aigu – « Un pensiero nemico di pace » n’est-il d’ailleurs pas l’un des chevaux de bataille de cette chère Cecilia ? Au passage, les adversaires de Haendel pourront accuser le compositeur d’avoir toujours écrit la même musique, et trouveront matière à confirmer leur hostilité, en le prenant en flagrant délit de réemploi, puisque le disque donne à entendre le « Disseratevi » initial de La Risurrezione et l’air « Come nembo » extrait du Trionfo del tempo et del disinganno, soit la même partition utilisée deux fois, où Julia Lezhneva propose néanmoins des acrobaties vocales un peu différentes.
Bien sûr, il y a encore cette pureté du son qui confine trop souvent à la froideur, mais aussi une compétence technique qui laisse pantois, avec une faculté quasi surhumaine de filer le son pendant un temps incroyable, comme en témoigne cette interminable note tenue dans « Per dar pregio ». Et malgré tout, au détour d’un « Lascia la spina », dont la reprise est ornée avec une délicatesse arachnéenne, l’émotion finit par affleurer, palpable.
Même dans le « Ad te clamamus » du Salve Regina, où il ne serait que trop facile pour Julia Lezhneva de retomber dans les travers qui sont surtout les siens dans la musique d’église, on sent par moments qu’il y a là derrière un être humain qui implore vraiment. Et l’on saluera, dans Agrippina, le choix d’un air confié non à Poppea mais au rôle-titre, qui est bien ici une héroïne de chair et de sang, comme le montre notamment le bref passage en récitatif.
Certes, dans la carrière de Julia Lezhneva, les incarnations scéniques se comptent encore sur les doigts d’une main : depuis son Urbain des Huguenots en 2011, il y eut sa Laodice du Siroe de Hasse en 2014, et il vient d’y avoir une Zerline à Londres en juin dernier. La saison qui commence lui réserve une Fiordiligi à Wiesbaden, et c’est tout ! On sait pourtant désormais qu’elle n’est pas incapable de conférer à son chant une réelle vie dramatique, et que les planches la stimulent.
Hélas, pour que cette faculté d’aller au-delà de la virtuosité gratuite trouve à s’épanouir aussi en studio, il aurait fallu un orchestre autrement plus stimulant que le Giardino Armonico, qui manque singulièrement de nerf, notamment dans l’ouverture d’Agrippina. Si l’auditeur reste un peu sur sa faim, c’est à la mollesse générale de la direction de Giovanni Antonini qu’il faut donc l’attribuer, et ce malgré les interventions brillantes du violoniste Dmitry Sinkovsky, dont on apprécie les solos ici et là.