L’illustration de la couverture de la pochette et du livret résume le propos : une vue d’Arnstadt en 1650, de Merian. Les œuvres offertes par l’enregistrement couvrent un siècle de création des Bach dans cette petite ville de Thuringe, ou, du moins, de leurs figures majeures : Heinrich (1615-1692), 3e fils de Hans ; Johann Christoph (1642-1703), l’aîné de ses enfants ; Johann Michael (1648-1694), le second ; et enfin Johann Sebastian, qui vouait une admiration sincère au « profond » Johan-Christoph, son aîné de 43 ans, cousin issu de germain, et neveu de sa première épouse. A l’écoute des pièces réunies, on mesure combien le Cantor était porteur d’un savoir enrichi de génération en génération, avec, toujours, cette profonde foi luthérienne. La présentation des œuvres par Jérôme Lejeune conclut opportunément : « tous ces ancêtres sont bien les sources du majestueux fleuve que représente Johann Sebastian ».
Même si l’œuvre la plus longue est la fameuse cantate Christ lag in Todesbanden, de Johann Sebastian, l’intérêt de cet enregistrement se focalise essentiellement sur les œuvres de sa parentèle, concerts spirituels ou cantates, organisées en sections, usant fréquemment du double-chœur de façon renouvelée. Chanté à trois par partie – soit deux plus un lors des doubles-chœurs – l’ensemble y acquiert une grande lisibilité, les soli étant assurés comme il se doit par les chanteurs du coro. Avec un continuo dominé par l’orgue, clair, réactif, coloré, l’ensemble est d’une cohésion parfaite, d’une entente idéale, où chacun s’épanouit en écoutant l’autre. Vox luminis porte effectivement ce rayonnement, magistralement conduit par Lionel Meunier, dont on connaît toutes les qualités dans ce répertoire si exigeant.
Ich danke dir, Gott, de style concertato, annonciateur du baroque du siècle suivant, est la seule œuvre vocale de Heinrich Bach qui nous soit parvenue. L’ensemble orchestral y joue un rôle essentiel, les solistes vocaux et le chœur usant de toutes les écritures (homophone, ornée, avec des coloratures brillantes, polyphonique) pour une expression séduisante et forte. Les trois œuvres présentées de Johann Christoph figuraient déjà sur le vinyle de Reinhard Goebel, admirable, qui nous les révéla. Nous les retrouvons ici avec leur plénitude, leurs couleurs et leur dynamisme renouvelés. Die Furcht des Herren, cantate pour le conseil municipal nouvellement élu, met en scène les principaux acteurs de la commune, avec un recours original au double-chœur à des fins expressives. Herr, wende dich und sei mir gnädig est une composition théâtrale, qui fait dialoguer quatre voix et les cordes. On en retient particulièrement un bel air de basse (le Christ consolateur). Quel bonheur que Es erhub sich ein Streit, dernière œuvre enregistrée, prodigieuse et triomphante ! Foisonnante, dans son ample introduction (sonata), sur pédale, suivie de sections, toutes les écritures permettent aux voix et à l’orchestre la plus riche expression. C’est le chef-d’œuvre du compositeur qui y décrit le combat entre l’archange Saint-Michel et le diable. De Johann Michael, deux concerts spirituels, le premier traité dans l’esprit du motet (Ach, bleib bei uns, Jesu Christ), le second, vigoureux, proche de la cantate (Herr, der König freut sich). Directement générée par celle de Pachelbel, fondée sur le même choral, l’admirable Christ lag in Todenbanden, vraisemblablement écrite par le jeune Bach à Arnstadt, figure parmi les plus jouées, à juste titre. L’ouverture, ici déploration plus que drame, crée d’emblée le climat dans lequel baignera toute la cantate. La ferveur douloureuse, l’espérance et l’allégresse que confère la foi traversent chacun des versets. Le chœur d’ouverture est remarquable, les alleluias, légers, aériens, sont vraiment jubilatoires. On regrette seulement que le cantus firmus soit chanté à l’égal des autres parties, et par là même moins aisément perceptible par le non-initié. Les versets suivants n’appellent que des éloges, le Jesus Christus, Gottes Sohn, allant, vigoureux, confié à Robert Buckland, est un modèle. C’est à une guerre merveilleuse que nous convie Es war ein wunderlischer Krieg, chanté par les solistes. La dynamique est constante, assortie de tempi rapides. Il faudra attendre le choral final pour oublier l’urgence permanente qui anime l’ensemble. Même si le temps de la méditation nous est compté, c’est là une réalisation de très haut niveau.
La prise de son rend compte de façon satisfaisante de chacune des pièces. La réverbération, jointe à la complexité polyphonique, altère parfois la compréhension du texte chanté. Le livret, toujours exemplaire, permet évidemment de suivre le propos. Un enregistrement réussi, propre à resituer le Cantor dans son contexte musical familial.