On le sait, le Palazzetto Bru Zane a entrepris depuis quelques années d’explorer une vaste terra incognita de la musique française du XIXe siècle : les cantates du Prix de Rome. Les différents disques déjà publiés ont révélé des œuvres d’un intérêt historique évident, et parfois d’un égal intérêt artistique, où se devinent déjà les spécificités de futurs grands compositeurs. Jusqu’ici, il s’agissait toujours de cantates conçues après 1836, et donc destinées à trois voix, avec duo et trio obligés. Voici donc la première incursion dans la cantate « à l’ancienne », ou plutôt « à l’italienne », puisque l’on appelait « scène à l’italienne » ce genre devenu à la mode en France à partir des années 1770. Et en écoutant ce disque, on en vient à se demander si cette cantate-là, à une seule voix, n’était pas un genre où un jeune compositeur trouvait plus facilement à s’épanouir, à moins que cette impression ne vienne du choix des œuvres ici réunies.
Six plages, mais seulement trois cantates. Avec trois morceaux, Cherubini est à l’honneur, chronologiquement d’abord à travers la cantate Circé (1789), bien moins longue que ses consœurs du XIXe siècle (un quart d’honneur au lieu d’une demi-heure) et sans rapport avec le Prix de Rome. L’Italien la composa peu après son arrivée à Paris, pour un concert de la loge maçonnique dont il était membre. La magicienne homérique lui inspira une œuvre pleine de noirceur, avec laquelle le disque se conclut fort bien. La présence de l’ouverture de Médée se justifie par l’attrait de l’inédit : il s’agit d’une version réorchestrée vers 1820, avec plus de cuivres. En revanche, l’air de Néris étonne un peu, car il n’a guère à partager avec les œuvres qui le jouxtent : s’il introduit une respiration bienvenue dans l’opéra pour lequel il fut composé en 1797, il n’offre évidemment pas les mêmes contrastes rapides d’affects. N’aurait-il pas été opportun de graver plutôt un des airs de cette Sémiramis de Catel dont on nous offre l’ouverture ? Maria Riccarda Wesseling n’avait guère convaincu dans le rôle-titre de cet opéra révélé par une récente intégrale et il y avait lieu de le faire entendre, confié à une autre voix. N’importe, l’ensemble Opera Fuoco dirigé par David Stern mérite bien son nom et sait faire sonner cette musique, même dans un cadre qui résonne autant que celui de l’église Notre-Dame du Liban.
Avec les deux autres cantates enregistrées sur ce disque, c’est un peu le jour et la nuit : l’une d’un grand nom, l’autre d’un illustre inconnu, l’une un peu faible, l’autre fascinante. Cherchez l’erreur : c’est à l’inconnu que l’on doit la cantate géniale, on y reviendra. Commençons par Louis-Ferdinand Hérold, dont l’Ariane, simple travail d’élève non présenté au concours de Rome, peine un peu à intéresser l’auditeur. Voilà décidément un compositeur dont la résurrection paraît compromise, tant le Zampa remonté par l’Opéra-Comique fut peu convaincant ; on attendra néanmoins un éventuel Pré aux clercs avant de classer le dossier. Révélation absolue en revanche pour Xavier Boisselot, Premier Grand Prix en 1836. Sa Velléda (aucun rapport avec celle de Dukas, récemment gravée par François-Xavier Roth et Les Siècles) est d’une fulgurance toute berliozienne, et l’on voudrait pouvoir écouter bien d’autres œuvres d’un compositeur aussi prometteur.
Surtout, ce qui porte ce disque, c’est la voix de Karine Deshayes : ces cantates étaient écrites pour de grands artistes, propres à leur communiquer toute la vigueur, toute la vie nécessaire. On se réjouit à l’idée que ce disque inaugure une série de collaborations entre la mezzo française et le Centre de musique romantique, puisqu’on la retrouvera ce samedi 8 mars dans Herculanum de Félicien David. Si la diction n’est pas toujours très claire – mais les tessitures sont assez inhumaines – on salue bien bas l’énergie et l’ampleur que Karine Deshayes sait insuffler à ces partitions. Puisse-t-elle prêter encore son talent à bien d’autres entreprises du même genre !