Véritable star aux Etats-Unis où elle est invitée chaque saison, Karita Mattila s’est d’abord illustrée dans plusieurs rôles mozartiens avant de s’imposer dans les opéras de Janacek (Jenufa et Katia Kabanova), Wagner (Lohengrin), Strauss (Salomé) et Beethoven (Fidelio). Si par ailleurs, elle s’est laissée tenter par Verdi (Don Carlos, Otello, Simon Boccanegra et Ballo in maschera), où son manque « d’italianita » lui a souvent été reproché, elle n’a pas pu résister à Puccini, et l’on s’en réjouit.
Après Chicago et San Francisco (2005 et 2006) où elle a « rodé » ses premières Manon Lescaut, le Met, qui s’apprête à entendre sa Tosca à la rentrée prochaine, a pu l’applaudir en février dernier dans ce rôle où elle est aujourd’hui sans rivale. Vocalement radieuse, la soprano finlandaise réussit un exploit, grâce à la vivacité de son jeu très physique, qui rend crédible son personnage. Se glissant parmi la foule agitée du premier acte, sa Manon a de l’allure et n’a aucun mal à séduire le sémillant Renato, qui l’enlève au nez et à la barbe du vieux libertin Geronte. Métamorphosée en coquette richement entretenue (second acte), elle cultive une certaine gaucherie qui vient rappeler que l’habit ne fait pas le moine ; quelque chose de populaire dans sa manière d’être, montre que sa condition est et restera modeste. Sa brusquerie, la violence qui l’habite lors des retrouvailles avec Des Grieux, l’ardeur qu’elle met à se faire pardonner en se jetant sur le lit, sont proprement irrésistibles et l’on apprécie son impudeur. Par la suite emprisonnée, défaite, on assiste à sa déchéance, saisit comme il se doit par son habileté a faire ressortir la fatigue, la soif, s’accrochant a celui qu’elle aime, essayant de repousser la mort et tirant les larmes, même des plus réticents.
Toujours plus limpide, précise sur toute la tessiture, sa voix au legato serein, a gagné en rondeur, avec un bas medium plus sonore et des aigus toujours incendiaires, qui la rapprochent d’un spinto. Totalement investie, sa transformation physique et psychologique culmine dans une scène finale époustouflante pendant laquelle son parlé-chanté et ses cris de désespoir, notamment celui lancé sur « Ah mia belta funesta », font froid dans le dos. Une Manon Lescaut est née.
Plus banal, mais tout de même tiré vers le haut grâce à la présence de sa partenaire, Marcello Giordani n’a rien du jeune et séduisant étudiant qu’il est censé interpréter, mais en bonne condition vocale, il vient à bout du rôle de des Grieux, sans compromis et avec une certaine résistance. La distribution complétée par l’excellent Geronte de Dale Travis, l’imparable Lescaut de Dwayne Croft et le bondissant Edmondo de Sean Panikkar, bénéficie d’une direction sur mesure, assurée par un James Levine des grands soirs, plus lyrique que jamais.
Les amateurs de spectacles traditionnels seront ravis, la production reprise par Gina Lapinsky ayant été montée il y a plusieurs décennies par Giancarlo Menotti (rien ne manque à l’appel, de l’authentique, du tableau vivant, du typique pour l’auberge d’Amiens au 1, la vaste chambre parisienne du 2, la place près du port du Havre et la vaste plaine aux confins de la Nouvelle Orléans des derniers), la direction d’acteur étant laissée au bon soin des artistes, heureusement filmée avec talent par l’indispensable Brian Large. Les autres devront être indulgents et se contenter de la fulgurance de Mattila. En prime, Renée Fleming herself joue les présentatrices d’un soir, interviewant Mattila (qui réalise sans se faire prier son célèbre grand écart) et le sympathique Giordani, sans omettre de raconter l’intrigue. Du show à l’américaine.
François Lesueur