On ignore ce qui vaudra à Kathleen Battle d’accéder à la postérité : ses caprices légendaires, qui ont réussi à faire d’elle une des divas les plus antipathiques du circuit (on en retrouvera notamment la trace ici) ou ses mérites strictement artistiques ?
Le présent coffret, qui regroupe en 10 CD l’intégralité des enregistrements réalisés par la chanteuse pour Sony Classical, ne permettra sans doute pas de répondre à cette question.
On rappellera pour mémoire que Kathleen Battlen soprano léger, née en 1948, fit ses débuts à Spoletto en 1972, après avoir été repérée par le chef Thomas Schippers. Le double parrainage de James Levine, directeur musical du Metropolitan Opera de New York et d’Herbert von Karajan lui permit de fouler, dès la fin des années 70, les principales scènes lyriques : MET en 1977 , Glyndebourne en 1979, Salzbourg en 1982… Ses incarnations de personnages comme Oscar, Zerline, Despina, Zerbinetta ou Sophie étaient alors très recherchées. Deux événements ont particulièrement contribué à la visibilité de Kathleen Battle à cette période : sa participation à la Grande messe en ut de Mozart dirigée par Herbert von Karajan en février 1985 à la basilique Saint-Pierre de Rome, en présence du pape Jean-Paul II, ainsi que sa interprétation des Frühlingsstimmen de Johann Strauss lors du concert du nouvel an dirigé par le même Herbert von Karajan le 1er janvier 1987 à Vienne.
Les choses ont commencé à se gâter au tournant des années 1990, lorsque les excentricités de Kathleen Battle commencèrent à prendre le pas sur ses prestations vocales. Ces dernières se dégradèrent de manière accélérée au point de provoquer le spectaculaire renvoi de l’intéressée par le MET en 1994, pour « insuffisance professionnelle ». La carrière de Kathleen Battle acheva alors de se réorienter, à grand renfort de cross over, vers des répertoires de plus en plus éloignés de l’opéra.
Autant dire les choses clairement : c’est de cette deuxième période de la carrière de Kathleen Battle que le coffret Sony Classical est le reflet, et non de la période précédente, autrement plus faste, mais au cours de laquelle la chanteuse était contractuellement liée à une autre maison de disques. Hélas, trois fois hélas !
A de trop rares exceptions près, tous les enregistrements de ce coffret sont postérieurs à 1991. Est donc complaisamment documentée ici la diversification du répertoire de la diva vers des rivages de plus en plus éloignés de l’art lyrique de stricte obédience. On se gardera bien de tomber ici dans la facilité du jugement de valeur, mais on avouera avoir eu beaucoup de mal, y compris sous l’emprise des bonnes résolutions de début d’année, à trouver le moindre intérêt aux disques consacrés aux répertoires « périphériques », qui repoussent très loin les frontières d’un kitsch tour à tour mièvre (CD 5 et 6) ou boursouflé (CD 7, musique composée par Vangelis à l’attention de la mission de la NASA pour Mars, et qui aurait gagné à y rester). Rien n’y fait : sous des atours aguicheurs (les maquettes des pochettes des CD !), ce coffret n’offre rien d’autre que les tentatives de plus en plus désespérées d’une chanteuse pour masquer la disparition de ses moyens, naguère avenants.
Le disque consacré aux chants de Noël ravira les amateurs de sucreries musicales un peu écoeurantes : l’honnêteté commande de reconnaître que ce répertoire a été servi autrement plus dignement par d’autrement plus grands artistes.
Les récitals avec Jean-Pierre Rampal et Wynton Marsalis s’écoutent sans déplaisir, quand bien même l’attelage entre la voix et l’instrument paraît, à la longue déséquilibré. On est frappé, par ailleurs, de constater avec quelle indifférence la chanteuse aborde les différents répertoires représentés. On cherchera en vain la moindre différenciation entre les airs de Scarlatti et ceux d’Albert Roussel…
Le CD 8, consacré à des pièces sacrées, finit d’exposer sans concession la vacuité stylistique de la soprano, qui n’en finit pas d’insupporter à force de minauderies déplacées, dans un répertoire qui appelle d’abord l’intériorité.
Quant aux CD 9 et 10, ils s’agit pour l’essentiel de pots-pourris des récitals précédents, que l’on trouve ailleurs dans le même coffret…
Et pourtant, tout, dans ce coffret, ne mérite pas l’opprobre. Les plages les plus anciennes, inévitablement, retiennent l’attention: l’extrait du Knaben Wunderhorn, dans le mouvement final de la 4e symphonie de Mahler, charme par sa dimension séraphique et éthérée (les Wiener Philharmoniker et Lorin Maazel n’y sont pas pour rien). Sur le CD 10, les quatre lieder de Brahms, ou la cantate BWV 202 de Bach, captés respectivement en 1984 et 1977, sous la direction experte de James Levine, rappellent quels attraits cette voix a pu avoir, correctement entourée, et dans des répertoires valorisants. On rangera dans la même rubrique, et pour les mêmes raisons, le trio final du Chevalier à la Rose, capté lors du concert de la Saint-Sylvestre à la Philharmonie de Berlin en 1991: Claudio Abbado y dirige Renée Fleming, Frederica von Stade et ses chers Philharmoniker… Mais en définitive, cela pèse bien peu, au regard de la masse de ce coffret aisément dispensable pour qui attend d’une chanteuse d’opéra un peu plus que de l‘easy listening.