Depuis un certain Otello enregistré à Chicago (pour le label de l’orchestre, CSO Resound), on sait que Krassimira Stoyanova est une voix verdienne de premier ordre. Le label Orfeo a donc eu l’excellente idée de lui confier un album entièrement consacré à son compositeur de prédilection. Le moins que l’on puisse dire est que le résultat est à la hauteur des attentes, même pour les lyricophiles les plus pointilleux.
Pour bien goûter aux 75 minutes de ce CD, il faut d’abord admettre que nous sortons d’une période de vaches maigres en ce qui concerne les héroïnes de Verdi. Quelles sont les Amelia, les Elizabetta et les Aida qui nous ont satisfait ces dernières années ? En étant généreux, on les comptera sur les doigts d’une main. Trop de grenouilles ont voulu se faire plus grosses que le bœuf, et ont fini par éclater, sur scène ou au disque, laissant le mélomane désemparé. Nos oreilles n’en peuvent plus de ces aigus escamotés, de ces souffles trop courts, de ces lignes mal tenues.
Après tant de déconvenues, cette nouvelle parution est un baume. La chanteuse bulgare empoigne les tessitures meurtrières écrites par Verdi avec un aplomb renversant et des moyens considérables : la voix est opulente, charnue, puissante sur tout l’ambitus. Elle sait aussi s’alléger lorsque la partition le demande, et devient alors capable de demi-teintes qui donnent le frisson. Quel bonheur d’entendre enfin ces rôles assumés dans la totalité de leurs exigences, avec une voix saine, bien articulée, dont la diction italienne est de surcroît irréprochable, permettant de suivre le texte dans sa continuité. Là aussi, nous sommes loin de la bouillie servie par certaines chanteuses trop occupées à sortir leurs notes. L’opéra est du théâtre chanté, et Madame Stoyanova ne nous laisse jamais l’oublier.
En l’entendant progresser au fil des ces rôles (et de Giovanna d’Arco à Desdemona, c’est presque toute la carrière du compositeur qui est embrassée), on se dit que le chant verdien n’est pas aussi compliqué que ce qu’on a voulu nous faire croire. Il suffit qu’une voix solide et ample s’y attaque avec ingénuité. Lorsqu’une telle impression de facilité s’empare de l’auditeur, c’est le signe qu’il est face à un grand disque.
Le chef est à l’unisson de sa chanteuse : Pavel Baleff opte pour la droiture et l’efficacité. Cela fonctionne admirablement pour les opéras de jeunesse et la trilogie populaire, jusque La Forza del destino. Pour des titres comme Don Carlo, Aida ou Otello, sa direction doit faire face à des concurrents nommés Karajan, Solti ou Abbado. Rien de rebutant, cependant, avec un orchestre de la radio de Munich qui offre des timbres soignés et une tenue globale de premier plan.
Bref, et si on accepte de mettre de côté un livret moralisateur et pédant, voilà un des plus beaux récitals verdiens de ces dernières années. On espère que la réussite de cet album parviendra aux oreilles d’autres producteurs, qui auront la bonne idée d’enregistrer Krassimira Stoyanova dans des opéras intégraux. Nous attendons son Don Carlo avec impatience.