Dans Béthulie assiégée par le « barbare » Holopherne, le peuple souffre, la foi vacille, on envisage de céder. Giuditta (Judith) paraît et s’insurge contre ces faiblesses : armée de sa seule conviction, elle s’aventure dans le camp assyrien et décapite l’ennemi. Les impies s’éparpillent, la ville est libérée et retrouve sa ferveur. Fidèle à sa manière habituelle et dans la tradition du sepolcro, type d’oratorio typiquement viennois, Metastasio ne montre jamais l’action directement, et c’est le parcours intérieur des protagonistes qui importe au fil de récits évocateurs, d’explosions d’affects ou de paraboles poétiques. Le procédé était le même dans un autre oratorio de Metastasio immensément populaire, La Passione di Gesù Cristo.
L’écueil de cette dramaturgie est le statisme, que Mozart parvient largement à éviter. Inutile de préciser ce que l’adolescent de 14 ans pouvait déjà accomplir : l’œuvre fut composée en 1771, entre Mitridate et Lucio Silla. L’agitation de l’ouverture est plus que décorative et semble annoncer les troubles à venir, et les chœurs sont déjà protagonistes de l’action : rien de contemplatif dans celui qui clôt la première partie ! Le style des airs, conformément à l’époque, regarde du côté de l’opera seria : cavatine (« Pietà, se irato sei »), airs de comparaison (« Del pari infeconda », « Quel nocchier »), sentences morales, virtuosité… Un vocabulaire que maîtrise parfaitement Christophe Rousset. On retrouve la plasticité et le sens du détail des Talens lyriques, ainsi que ses coloris plutôt pastel. Le chœur Accentus tient son rôle avec la pénétration et la vigueur nécessaires dans les quatre interventions que Mozart lui réserve. Voici Betulia libérée des interprétations empesées, sans être d’un rococo purement décoratif.
On devine que Rousset a voulu éviter l’effet « matrone » en choisissant Teresa Iervolino. De fait, la « veuve de Manassas » est censée être jeune et belle, et cette Giuditta rompue au contralto rossinien ne manque pas de charisme. Pourtant, nous avouerons ne pas l’avoir trouvée tout à fait idoine ici. En cause, une palette de couleurs disparate et une extériorité qui trivialisent Giuditta. Le récit de la mort d’Holopherne devrait saisir ; le magnifique « Prigionier che fa ritorno » émouvoir. Trop pressées, les louanges finales devraient sculpter sous nos yeux, dans le marbre du contralto, l’exploit accompli : cela s’écoute sans déplaisir mais Mijanovic, par exemple, était autrement fascinante (en DVD). Aucune réserve concernant Sandrine Piau, impeccable techniquement et juste de ton en Amital, figure des passions humaines qui se repent finalement d’avoir douté. Dans la fort difficile partie du chef Ozia, Pablo Bemsch est parfaitement efficace, à l’instar d’Amanda Forsythe. Achior bien chantant et nuancé de Nahuel Di Pierro.
La discographie de La Betulia liberata reste limitée, et cette gravure équilibrée se hisse assurément parmi les meilleures.