A l’automne dernier, alors que Dame Nature se parait des couleurs fauves du renard, les représentations parisiennes du chef-d’œuvre de Janacek avaient suscité plusieurs réserves : trop grand, l’Opéra Bastille, pour laisser diffuser le charme irrésistible et la touche fantaisiste de cette Petite Renarde ; trop minces, les voix, autant pour le vaste espace qu’elles tentaient de remplir que pour l’orchestre, moins subtil que rutilant, qu’il leur fallait affronter ; trop neutre, le spectacle d’André Engel, qui hésitait sans cesse entre réalisme didactique façon Jean de la Fontaine et bestiaire fantastique. On pouvait dès lors accueillir avec scepticisme l’arrivée de ce DVD (issu de la représentation qui avait été diffusée en direct sur medici.tv) sur un marché finalement assez saturé : le magnifique spectacle dirigé par Charles Mackerras avec Thomas Allen en Garde-Chasse (Arthaus), et le dessin animé de BBC rendent d’ores et déjà toute concurrence difficile.
Mais, si elle échoue parfois à capter l’essence des plus grandes soirées (le Tristan d’Olivier Py chez Bel-Air !), la caméra peut aussi parvenir à filtrer l’essentiel de productions moins mémorables. En cernant la scène au plus près, et en multipliant les gros-plans, Don Kent fait oublier ce que la direction d’acteurs pouvait avoir de statique, pour mieux mettre en lumières le soin apporté aux décors, aux costumes, aux maquillages, détails secondaires pour bien des spectacles qui prenaient, ici, tout leur sens (quoique, là encore, l’Opéra Bastille n’était pas le lieu le plus approprié pour les apprécier de près…). Au total, le spectacle d’André Engel apparaît toujours trop indécis, toujours aussi peu radical dans ses choix interprétatifs, mais il y gagne une certaine naïveté, une fraîcheur enfantine qui en redoublent la valeur.
Musicalement aussi, la captation est bénéfique. Les minces filets de voix que l’on percevait de loin en loin, dans la salle, se font pleinement audibles et, enfin, instruments de véritables interprétations. On apprécie, cette fois sans entrave, ce que l’on devinait d’Elena Tsallagova : une actrice-chanteuse des plus enthousiasmantes ! Sa Renarde, admirablement chantée, profite paradoxalement des hésitations qui hantent le spectacle d’Engel, et en devient une créature troublante, où l’on ne distingue plus la femme et l’animal. Plus uniforme, Hannah Esther Minutillo… mais ce jeune Renard, à la fougue d’adolescent Straussien, ne peut que transporter (même si le timbre accuse par moment des teintes trop métalliques). Si la subtilité n’est pas la vertu première de Jukka Rasilainen (mais est-elle celle du Garde-Chasse ?), le baryton finnois impose un personnage attachant, tout de gentillesse bourrue. On se réjouit de retrouver Michèle Lagrange, même dans des rôles bien courts, et Paul Gay, en Harasta, prouve une fois de plus qu’il est l’un des plus brillants chanteurs français de la jeune génération. David Kuebler, Roland Bracht, tous les artistes de l’Atelier Lyrique ainsi que les choristes complètent avantageusement le tableau.
Dans la fosse-même, le travail de Dennis Russel Davies gagne à être entendu par le truchement des micros. Sa solide direction ne nous semblait guidée que par la crainte d’être noyée par la salle ; le DVD nous révèle des couleurs, des rythmes, des subtilités qui nous avaient échappés. On mesure alors, non sans quelque nostalgie, combien cette œuvre et ce spectacle auraient gagné à être donnés au Palais Garnier. Hélas, cent fois hélas ! C’est encore et toujours à l’Opéra Bastille que Nicolas Joel a prévu de faire jouer la reprise, en juin 2010…
Clément Taillia