C’est probablement la fréquentation, durant ses séjours en Angleterre, des grands oratorios de Haendel qui fut à l’origine de l’intérêt porté par Haydn à cette forme ambitieuse. C’est aussi d’Angleterre qu’il ramena le livret de la Création, ultérieurement traduit en Allemand, mais c’est au célèbre Baron von Swieten et ses Associés, qui furent aussi mécènes de Mozart et de Beethoven, qu’on doit le soutien qui permit à Haydn de murir son projet pendant plusieurs années et de le mener à bien. Bien que puisé au cœur du récit biblique, le thème de la création du monde est ici traité dans l’esprit des Lumières et reconnaît la place centrale de l’homme comme aboutissement du projet divin.
La plus grande originalité de la partition réside dans son introduction orchestrale représentant le chaos, que le compositeur avait soigneusement préservée de toute indiscrétion jusqu’au jour de la première exécution de l’œuvre, et qui prend, sous la baguette de Jordi Savall, de savantes couleurs de mystère qui en révèlent à la fois toute l’originalité et toute la science. Outre les éléments très contrastés que toutes les interprétations mettent en évidence, on trouve ici une recherche de timbres, de climats, une élaboration dramatique particulièrement soignée et instruite.
Les mêmes caractéristiques, soin, attention aux détails mais aussi souci de la forme et élaboration dramatique, se retrouvent tout au long de l’enregistrement qui met particulièrement bien en lumière les éléments structurels de la partition : son découpage en trois parties, chacune centrée sur un thème bien précis : les éléments, les animaux, l’homme et le paradis terrestre, et composées chacune d’abord du récit biblique, ensuite d’un commentaire lyrique où apparaissent les airs confiés aux parties solistes, et enfin d’un chœur de louanges.
A tout moment, le chef souligne le rôle primordial de l’orchestre qui est le véritable moteur du récit et qui lance toutes les propositions thématiques de l’œuvre. Ces propositions très élaborées sont d’une grande richesse à laquelle le Concert des Nations rend honneur, et à laquelle le chef donne tout sa cohérence.
Le fait d’avoir – à juste titre – mis l’orchestre au centre du projet laisse objectivement moins de place aux solistes, d’ailleurs assez peu sollicités, et enregistrés un petit peu en retrait, comme issus du chœur (ce qui n’est pas du tout le cas). Pas de mise en avant d’une brochette de vedettes, donc, mais une distribution très homogène et de bonne qualité, parfaitement en ligne avec les propositions du chef, et qui contribue à la très grande cohérence de cet enregistrement. Pris individuellement, ces trois solistes sont pourtant ce qu’on pourrait appeler de solides pointures de la jeune génération: la soprano coréenne Yeree Suh a été formée à Berlin et Leipzig, le jeune ténor Tilman Lichdi s’est un peu spécialisé dans le répertoire baroque, et en particulier l’œuvre de Bach quant au jeune baryton bavarois Matthias Winckhler, il s’est déjà abondamment fait remarquer à l’opéra de Hanovre ou même à Salzbourg. Leurs compétences à tous les trois, tant pour ce qui concerne la technique vocale que le style ou la connaissance du répertoire classique sont très solides, et se trouvent ici humblement mises au service du projet du chef.
Il en va de même de l’enthousiasme contenu du chœur de la Capella Reial de Catalunya, à qui revient la tâche de faire les synthèses, de tirer la morale des différents épisodes et de louer le seigneur, l’esprit des lumières n’étant pas opposé ici à une foi bien réelle et assumée.