La captation vidéo modifie-t-elle notre perception par rapport à la présence in loco ? Oui, très certainement, on l’a souvent constaté. par exemple pour le Moïse de Bregenz, saccagé par la vidéo. Ici, alors que l’avis de Guillaume Saintagne sur le concert était plutôt mitigé, on est au contraire subjugué par la qualité du DVD, fluidité de l’image, beauté du son, équilibre des pupitres, proximité avec les solistes. Mais bien évidemment, les partis pris musicaux restent les mêmes, que l’on peut aimer ou rejeter. Pour déroutants qu’ils soient parfois par rapport aux interprétations tonitruantes que l’on nous sert à l’envi, ils créent ici une unité de style incomparable. Et si l’on avait ici la version de référence, celle qui serait la plus proche de la création ? En tous cas, rien n’autorise à la rejeter, encore moins à la dévaloriser.
Anna Caterina Antonacci et Mathias Vidal © Photo DR
Une autre œuvre qu’à l’habitude, certes. La clarté de lecture, la musicalité des vents, la finesse d’interprétation de tous les instrumentistes de l’orchestre Les Siècles, alors qu’ailleurs la partition est souvent noyée dans une masse orchestrale surdimensionnée, nous font découvrir des moments intenses et ineffables à la fois. D’infinies retenues à l’orchestre, sous la baguette magistrale de François-Xavier Roth, donnent aussi une autre dimension à l’œuvre, plus intériorisée, peut-on même dire intravertie, avec des ruptures soudaines d’autant plus frappantes, et quand même des moments brillants qui paraissent d’autant plus singuliers. Le chœur Marguerite Louise, parfaitement dimensionné pour répondre à la volonté du chef, est lui aussi parfois un peu retenu, mais bien à l’unisson, avec des colorations vocales adaptées.
Nicolas Courjal © Photo DR
Pour le reste, et non le moindre – les solistes – il n’y a là que des confirmations. D’abord des voix qui se marient parfaitement, tant en ce qui concerne leur volume que leur pâte sonore. Le Faust de Mathias Vidal est à la fois séduisant et torturé, même déchiré, sans pour autant arriver à la caricature de héros romantique que trop de ténors privilégient. On admire notamment la clarté vocale et l’articulation parfaite, avec des demi-teintes, des pianissimi et l’art d’une voix mixte non détimbrée. Anna Caterina Antonacci (Marguerite), confrontée à une discographie du rôle pléthorique, montre bien une fois encore qu’elle est dans les premières, avec une voix mesurée parfaitement adaptée au rôle, dont les inflexions variées et bien en situation montrent toutes les facettes de sentiments exacerbés. La voix est touchante et juste, et la cantatrice trouve certainement là un de ses meilleurs rôles. Nicolas Courjal s’est fait une spécialité des rôles maléfiques, et on le retrouve ici tel que dans sa magnifique interprétation du rôle de Bertram lors de la belle exécution en concert de Robert le Diable donnée récemment à Bruxelles. Il est en parfaite adéquation avec le rôle de Méphistophélès grâce à une voix sombre et solide, menée avec doigté et intelligence, notamment dans les moments où les côtés charmeur et inquiétant s’interpénètrent. Même en version de concert, le personnage est là, bien présent et personnifié non sans humour.