Autant vous prévenir tout de suite : cet enregistrement commercialisé par le label Malibran appelle une sérieuse mise en garde. Dans cette captation d’un concert radiophonique de 1956, l’orchestre semble être passé par un mixeur à soupe, avec un résultat qui ferait presque regretter l’orgue Hammond de Charly Oleg dans Tournez, manège. Heureusement, les voix sont – relativement – intactes, du moins la plupart du temps, mais il faut savoir qu’une écoute assidue et répétée pourrait sans doute entraîner des troubles corporels et mentaux.
Autre obstacle à surmonter : qui connaît encore Henri Hirchmann (1876-1961) ? Elève de Massenet, il remporta un certain succès avec ses opérettes, mais s’essaya aussi au genre sérieux. A l’époque où le Stéphanois composait Cléopâtre ou Roma, et où Camille Erlanger triomphait avec Aphrodite, Hirchmann offrait à l’Opéra de Nice cette Danseuse de Tanagra, où s’opposent la candide et pure Karysta et la très impudique Messaline, objet de tous les fantasmes. Le cadre de la Rome décadente avait également de quoi plaire au public qui se presserait quelques années plus tard dans les salles obscures pour voir le péplum Cabiria. Voilà pour le livret ; pour la musique, malgré d’intéressantes audaces harmoniques ici et là, il y manque peut-être une ligne dramatique plus solide, car les moments de tension alternent avec des passages un peu trop verbeux, où l’attention se dilue. Surnagent malgré tout quelques duos, et notamment deux airs gravés dans les années 1930, signe que l’œuvre n’avait pas été totalement oubliée après la Première Guerre mondiale (à ses débuts, en 1931, André Cluytens la dirigea en création locale à Anvers). Il faudrait malgré tout pouvoir mieux entendre l’orchestre pour juger des qualités de cet opéra, et sans les diverses « coupures musicales exigées par l’horaire », selon l’exquise formule utilisée par la présentatrice de la RTF.
Si cette bande a néanmoins été publiée, c’est parce que l’affiche est fort alléchante, la distribution réunissant quelques-uns des meilleurs chanteurs français de l’immédiat après-guerre. Robert Massard était déjà alors au sommet : on admira l’aisance insolente avec laquelle il émet constamment le sol ou le fa aigu ! La voix fraîche de Nadine Sautereau peut paraître toute désignée pour le personnage virginal de Karysta, mais son interprétation finit par avoir quelque chose d’un peu désincarné, et il n’est pas inintéressant d’écouter ce que fait, avec des moyens autrement plus solides, Maryse Beaujon dans les deux extraits offerts en bonus, d’autant que le son de ces vieilles galettes est incomparablement supérieur… Berthe Monmart était alors l’une des grandes sopranos dramatiques sur lesquelles Paris pouvait compter : Messaline altière, elle semble se délecter de ce rôle de garce où elle se déchaîne (ne manquez pas le « Ma litière ! » qu’elle lance à la fin de son affrontement avec la Danseuse). Complétant le trio de voix féminines, Solange Michel est une digne Géo, même si l’on pourrait espérer un timbre plus sombre et plus nettement différencié. Jean Mollien joue ici les utilités ; Michel Hamel est un gladiateur un peu frêle, mais la partition ne lui demande pas plus.
Comme l’orchestre, le chœur est totalement saboté par la bande. Dommage, car Gustave Cloëz savait diriger ce genre d’œuvre, qu’on risque de ne pas réentendre de sitôt. En complément, les principaux airs de l’opérette Les Hirondelles révèle une inspiration mélodique plus facile, mais les aigus de Huguette Boulangeot, voix à la Suzy Delair, sonnent de manière un peu désagréable, encore qu’il s’agisse, là encore, d’une victime collatérale de la technique d’enregistrement.