1957. Callas ajoute une nouvelle pierre à l’imposant édifice que sera sa discographie officielle, pensée par Walter Legge. Il s’agira cette fois d’Il Barbiere di Siviglia, titre vendeur s’il en est. A première vue, cette partition pourrait paraître secondaire dans le legs artistique de la Divina et pourtant… Maria ne rencontre guère de difficultés à accéder au souhait de Legge, elle connait sa Rosina dans l’écho mi figue mi raisin de sa prise de rôle de 1956 toujours pour la Scala, sa maison de prédilection depuis quelques saisons déjà. Les représentations scaligères ne furent pas de tout repos. Giulini souffrant, ne pourra travailler comme il le désirait avec son équipe de chanteurs, notamment la Callas. Un antagonisme musical se fera entendre (le live d’une soirée quelque peu houleuse subsiste). Il est établi que Callas, tout en offrant des moments de génie vocal et théâtral, ne donna pas à sa Rosina des dimensions cadrées dans leurs finitions. Le maquillage un peu trop marqué au coin de l’œil, quelques hésitations dans le suraigu, des ruptures de registres audibles, il n’en fallut pas davantage pour que les veuves de Renata soient au rendez-vous du lâcher de meute. Une année plus tard, dans les studios londoniens (pour les besoins d’une capture stéréo balbutiante), la comparaison dans l’approche psychologique est simplement passionnante.
La première bonne surprise de cet enregistrement est la direction d’Alceo Galliera à la tête de l’excellent Philharmonia Orchestra. Sa vision a bien vieilli. Elle fait toujours figure glorieuse pour une intégrale reflétant parfaitement l’esprit artistique qui régnait dans ces années fébriles où les grandes maisons de disques guerroyaient ferme pour la constitution de leur catalogue. Cette version tient toujours la dragée haute à bien des éditions ultérieures voire carrément modernes. Elle est également avec la version Gui – de Los Angeles, ce qu’une vision soprano peut offrir de meilleur avec une Rosina aigüe sans aucune perversion. Los Angeles laissera deviner la Comtesse Almaviva que deviendra notre Rosina.
Callas signe avant tout un immense hommage à celle qui fut son mentor, l’historique Elvira de Hidalgo, Rosina de référence qui sculpta les moyens monstrueux de la Callas aux arcanes minutieux du belcanto. Nombre de bonnes surprises dans le giron masculin, Mario Carlin est un Fiorello irréprochable et existant. Luigi Alva expose la juvénilité d’un timbre plus qu’agréable. On sait qu’un certain Rockwell Blake rendra dans quelques années Almaviva à sa véritable existence. Alva en ces années, définit ce qu’on attendait d’Almaviva à son meilleur dans une émission agréable, fine, dont le Comte n’expose point trop les limites coloratures. Le légendaire Tito Gobbi, partenaire d’exception et privilégié de Maria jusque dans les derniers feux, est également bien capté par des ingénieurs inspirés. Plus diseur que chanteur, son Figaro crève l’écran, sans en faire des tonnes et sonne même agréable. Il porte avec Callas le plaisir communicatif à redécouvrir cette version dont on ne compte plus les pressages, les remastérisations et nouveau packaging. Le duo « Dunque io son » en cristallise le génie. Nicola Zaccaria chante encore en ces années et sans atteindre des sommets théâtraux, offre une prestation plus que convaincante dans le rôle de Basilio. Plus petit pied, Fritz Ollendorf en Bartolo, doit sa présence à sa fréquentation du personnage. Rien de rédhibitoire, juste un léger manque d’épaisseur et de carrure. Maria Callas demeure envers et contre tout d’une modernité fascinante, expliquant le statut qui est encore et toujours le sien dans le paysage lyrique. Sa Rosina ne se compare qu’à son propre travail. On pourra pinailler sur certains détails, duretés plus en devenir que présentes dans ces prises de sons. On devine également désormais les moments où le diaphragme ne remplit plus tout à fait son office, obligeant Maria à compenser plus douloureusement dans l’aigu notamment. Néanmoins la leçon de belcanto rossinien est remarquable, d’abord dans l’orfèvrerie de récitatifs (art perdu actuellement), dans la science de l’écriture rossinienne, sa colorature si particulière, son esprit des mots et cette capacité en deux phrases à représenter cette Rosina espiègle, amoureuse et féline.
En résumé, une édition que l’on n’est pas prêt de déboulonner de sa discothèque. A recommander pour qui veut opter pour une édition bon marché. Sans doute la meilleure d’Il Barbiere di Siviglia avec la version Bartoli pour le pendant moderne. Le CD bonus avec synopsis et livret en PDF n’ajoute rien et ne remplace certainement pas le plaisir tactile de manipuler un coffret solide, bien présenté avec un consistant livret à feuilleter.
Philippe PONTHIR.