Inutile de plonger dans votre vieil Harrap’s ou même dans le Brittannica World language: vous n’y trouverez pas le mot « lunarcy » qui donne son titre au nouvel enregistrement de Lawrence Zazzo. Forgé pour la circonstance, ce néologisme croise l’adjectif « lunar » (lunaire) et le substantif « lunacy » afin de mieux rappeler le sens étymologique de ce dernier, qui désignait un accès de démence passager induit par la lune, c’est d’ailleurs aussi la signification première du français « lunatique ».
Musicalement très éclectique, cette anthologie dédiée à la folie et à la lune s’est constitué autour, d’une part, du cycle « Lunar Beauty » de Geoffrey Burgon (1941-2010) sur des poèmes de W.H. Auden et Louis MacNeice et, d’autre part, des deux « Love Lyrics » de l’Ecossais Rory Boyle (1951) commandés et créés en 1984 par le contre-ténor Charles Brett (professeur de Zazzo), sans aucun doute les oeuvres les plus modernes à l’affiche de ce disque. Le trompettiste et compositeur britannique Geoffrey Burgon est surtout connu pour ses musiques de film et de feuilletons. Il a notamment signé celle de Brideshead revisited, adaptation du best-seller d’Evelyn Waugh et premier grand succès de Jeremy Irons. Burgon revendique une écriture accessible au grand public, de facture très simple et tout sauf avant-gardiste. Lunarcy multiplie les passerelles entre les époques: Dowland, Campion et Purcell se glissent entre Mozart (« Abendempfindung an Laura»), Schumann (« Mondnacht ») et Howells (« Full moon »), tous accompagnés au luth par Shizuko Noiri.
On n’attendait sans doute pas Lawrence Zazzo, l’un des contre-ténors les plus actifs à l’opéra, dans un tel programme. Or, c’est précisément en acteur qu’il entend l’aborder: « en tant que bête de scène, je suis toujours intéressé par les possibilités théâtrales de toutes les musiques que je chante. Un récital de chant et de luth peut souvent n’être qu’une succession de jolies perles alors que j’aime que tous mes spectacles aient une sorte de flux narratif. Même lorsque cette narration traite d’un genre de paralysie ou de dépression (comme dans le cas de la folie, la mélancolie ou la clarté hypnotisante de la lune), je veux que l’auditeur ressente cette paralysie d’une manière ou d’une autre comme quelque chose d’intolérable sur le plan théâtral et musical ». Le chant paraît moins appuyé, plus subtil que dans son précédent album solo (Byrdland chez Landor Records), mais la recherche d’une progression dramatique, très convaincante chez un Burgon (troublante « Lullaby »), peut parfois aussi verser dans l’affectation (« From rosy bow’rs », « In Darkness let me dwell ») alors que ailleurs, au contraire, la simplicité, parée des seuls accents de la sincérité, libère l’émotion (« The cypress curtain of the night») tout en flattant un timbre magnifiquement préservé. A la décharge du chanteur, la prise de son trahit une acoustique d’église et tient la voix à distance, un contresens dans ces pages qui réclament une tout autre intimité. Le récital ravira surtout les inconditionnels de Zazzo, dont la discographie n’est guère abondante.
Bernard SCHREUDERS