Après un volume orientaliste, l’éditeur LuxClassic revient avec un thème tout aussi fédérateur : la mer. On retrouve l’alliance musique et poésie, à laquelle s’ajoute cette fois l’image, avec toute une série de marines issues des collections du musée de Toulon, dues à des peintres provençaux, mais pas seulement, puisqu’on y trouve entre autres un superbe Ziem. Si les poèmes orientalistes de Jean Aicard relevaient déjà de la rareté, que dire des poèmes marins de Charles Poncy (1821-1891) ? Le brave homme a sa rue à Toulon, mais ce maçon autodidacte est aujourd’hui bien oublié. Son premier recueil, Marines, paru en 1842, suscita l’enthousiasme de George Sand (à qui l’un des textes était dédié), et le poète reçut la Légion d’honneur en 1865. Le volume LuxClassic reproduit d’ailleurs l’introduction signée « Ortolan » qui accompagnait l’ouvrage publié en 1842.
Malgré tout, c’est au disque que seront surtout sensibles les usagers de Forum Opéra. Commençons par un sujet qui fâche : la prise de son. Une réverbération assez redoutable oblige l’auditeur à baisser énormément le volume dès les premiers instants, sans quoi il serait assourdi par un magma sonore où l’oreille peine à se répérer. C’est d’autant plus dommage que la responsable de ce bel objet possède à peu près tous les atouts nécessaires. Chrystelle Di Marco, qui sera en mars prochain l’une des trois Tosca qui alterneront lors des représentations de l’opéra de Puccini données à Massy, est une soprano dramatique à la voix d’une ampleur remarquable, aux graves sonores et à l’articulation claire, et avec dans l’aigu juste autant de vibrato qu’il est inévitable pour un tel organe. Elle a donc le format adéquat pour ressusciter tout un répertoire élaboré à l’époque où les compositeurs français succombaient aux sirènes du wagnérisme.
Le programme qu’elle a choisi de défendre est tout à fait cohérent : il couvre toute la deuxième moitié du XIXe siècle jusqu’à la veille de la Première Guerre mondiale (avec « La Mer » de Trénet en guise de clin d’œil final). Grâce au jeu délié de la pianiste Virginie Martineau-Larderet, les accompagnements recréent par leurs effets liquides le miroitement des eaux au soleil, expriment la joie des matelots insouciants, ou au contraire créents des atmosphères brumeuses nous transportant vers quelque île des morts à la Böcklin, au milieu d’une mer meurtrière d’où l’on ne revient pas. Les textes ressortissent en grande partie à la poésie symboliste ou parnassienne, avec ce style néo-grec où Cypris devient Kypris. On trouve aussi des poèmes célèbres comme « Oceano nox » de Victor Hugo, auquel se risque Louis Niedermeyer, plus connu pour sa musique d’église qu’admirait Berlioz, ou « Ma belle amie est morte », de Théophile Gautier, ici dans la version de Charles-Edouard Lefebvre.
En effet, hormis « Les berceaux », ce tube de Fauré, tout le programme se compose de quasi inédits, dus à des compositeurs trop peu fréquentés. Si Bizet confirme sa réputation de mélodiste toujours un peu décevant, que de belles surprises ! « En barque », de Pierné, prouverait si besoin était qu’il y a urgence à réévaluer l’œuvre de ce compositeur injustement négligé. Xavier Leroux est aussi à redécouvrir, lui qui réussit la prouesse de transcender la poèsie d’Armand Silvestre, dont Massenet eut bien du mal à dépasser la platitude. Charles Tournemire livre un superbe monologue dramatique totalement affranchi de toute contrainte formelle. Quelques compositrices sont à l’honneur : Cécile Chaminade, avec un superbe « Sur la plage » (Anne-Sofie von Otter ne l’avait pas inclus dans son disque sorti en 2001), Augusta Holmès, ou la plus rare Marguerite Fernand-Labori. Car il y a, il faut le dire, de parfaits inconnus qui mériteraient de ne pas l’être, comme Paul Ponthus, très inspiré pour « Au bord de la mer », sur un texte où Louis Colet, muse de Flaubert. Et le disque donne envie de s’immerger sans scaphandre dans ce monde de la mélodie française que l’on n’a décidément pas fini d’explorer.