Depuis Guy de Pourtalès, les biographies romancées de musiciens se sont raréfiées. Isabelle Duquesnoy fréquente intimement Constance Mozart depuis vingt ans, et son histoire lui est familière. L’ouvrage, d’une lecture aisée, se présente sous forme de confession ou témoignage à l’adresse de l’un de ses deux garçons survivants. Il s’ouvre par le récit de la mort de son mari, pour s’achever cinquante et un ans plus tard par le couronnement de l’œuvre de Constance : la reconnaissance unanime du génie de Mozart comme son culte durablement installé à Salzbourg. On y croise évidemment les principaux témoins de cette brève existence, mais aussi nombre de figures de son temps, sans relation directe à Mozart. C’est aussi l’occasion de voir évoluer tel ou tel dans une société en mutation. Les turbulences de la Révolution, les victoires de l’Empire sont relatées avec justesse. En Constance nous découvrons une femme résolue, clairvoyante, habile, passionnée tant par l’amour qu’elle ne cesse de porter à son mari (qu’elle ne connut que moins de neuf ans) que par la haine portée à sa belle-sœur, Nannerl. Loin de l’image d’une jeune femme frivole, insouciante, quelque peu infantile, Constance apparaît ici comme lucide, calculatrice, construisant sa fortune au profit du culte de Mozart à Salzbourg, où elle lui fait prendre sa revanche. Attachante par cette volonté, par le souci, l’amour qu’elle porte à ses enfants, elle est ici trop souvent anachronique (l’expression « mâle dominant », le projet prêté à Mozart de créer la mixité au sein des loges maçonniques, la prétendue homosexualité de son second mari, Georg Nissen…). Une femme étonnamment moderne, trop sans doute.
Le roman, bien qu’habilement construit, n’échappe pas à la juxtaposition de scènes – parfois artificielles – destinées à rappeler le contexte, le décor, à présenter tel ou tel personnage illustre, tout en amoindrissant ou taisant certaines relations. Ainsi les Duschek (la villa Betramka de Prague, bien oubliée) ne sont signalés qu’au détour d’une phrase et pour l’hypothèque que prend la veuve sur leur bien. Que viennent faire dans cette galère, comme locataire libidineux de la veuve, Fabre d’Eglantine, et, plus loin, un disciple d’Hahnemann, inventeur de l’homéopathie ? Pourquoi attribuer à Constance la recherche et la découverte du crâne de Mozart, formellement identifié, alors que c’est le frère d’un anatomiste (Hyrtl) qui le récupéra auprès d’un fossoyeur ? Le parti-pris romanesque l’emporte trop souvent sur la vérité. Malgré le souci documentaire de l’auteure, les propos prêtés à Constance, sont souvent entachés d’erreurs, portant sur des détails, trahissant la fiction. On s’étonne ainsi qu’un ancien conservateur du Mozarteum écrive « Isabelle Duquesnoy n’invente rien ». Même si la plupart des faits importants sont avérés, cet essai participe au dogme de la religion mozartienne, à l’hagiographie que Constance a patiemment édifiés. Ainsi, le Requiem et sa légende occultent totalement l’activité intense et les magistrales productions de Mozart durant sa dernière année, où il se soucia fort peu de cette commande. Jamais elle ne fut passée par un mystérieux émissaire (O.E.Deutsch a démontré le caractère apocryphe de la lettre fondatrice), l’acte fut signé devant un homme de loi… Le contexte politique autrichien est gommé (fin des Lumières de Joseph II, puis règnes de Léopold, et de Marie-Thérèse), qui va trouver dans l’ultime œuvre inachevée de moyen de réconcilier l’image de Mozart avec la réaction conservatrice et cléricale qui a gagné l’empire vacillant. Ici, contre toute vraisemblance, Constance conteste l’ordre social, les injustices, exprime son mépris de la noblesse, alors que sa quête de fortune, de reconnaissance, de protection dément les pensées qui lui sont prêtées.
Le lecteur non-averti pourra s’en divertir, la plume est alerte, le métier est là. Pour autant, on reste quelque peu sur sa faim, même en laissant l’esprit critique sous le boisseau. On se souvient du Dernier des Mozart, que Jacques Tournier prenait pour personnage, en 2000. Franz-Xaver, que l’on retrouvera tout au long des pages, y laissait un portrait en filigrane de son père auquel on ne pouvait rester indifférent, dans un style inimitable. On y reviendra avec bonheur.