En avril 2011, Le Staatsoper de Vienne créait l’événement en affichant Anna Bolena avec une distribution prestigieuse autour d’Anna Netrebko qui effectuait ses débuts dans le rôle-titre : une série de représentations triomphales, saluées à l’époque par la presse internationale (voir le compte-rendu du spectacle par Maximilien Hondermarck), dont ces DVD sont le reflet.
La production, signée Eric Génovèse, joue la carte de l’authenticité historique. Les décors sobres de Jacques Gabriel et Claire Sternbeg et les costumes –somptueux- de Luisa Spinatelli se déclinent dans des teintes pastel à dominante gris clair et bleu. La mise en scène se révèle efficace à défaut d’être inventive et offre une lisibilité limpide de l’évolution du drame et des relations entre les personnages. Une lecture traditionnelle, en somme, qui s’en tient à la lettre du livret.
Au pupitre, Evelino Pidò mène ses troupes avec une précision métronomique, sa direction un rien trop sage a tendance à émousser l’impact des scènes où le drame atteint son paroxysme, notamment au cours des fins d’actes. Fidèle à son habitude, le chef italien a effectué quelques coupures ici et là et a supprimé les reprises de toutes les cabalettes, à l’exception du « Coppia iniqua » qui conclut l’ouvrage.
Des seconds rôles qui n’appellent aucun reproche particulier, on notera le paged’Elisabeth Kulman qui trouve en Smeton un emploi à la mesure de ses beaux moyens. Ce mezzo-soprano clair dispose d’un grave solide et scéniquement, la cantatrice se révèle convaincante en jeune garçon. Le succès que le public lui réserve est amplement mérité.
Les deux protagonistes masculins sont aussi dissemblables que possible : Francesco Meli campe un Percy fragile et ombrageux, doté d’un timbre juvénile qui convient à ce personnage d’amoureux transi. Le ténor chante avec goût et un style irréprochable. La voix, bien projetée, plafonne cependant dans le haut de la tessiture, ce qui n’empêche pas son Percy d’avoir de l’allure et de susciter l’émotion. A l’opposé, Ildebrando d’Arcangelo est un Henri VIII autoritaire, à la virilité exacerbée et au timbre de bronze. Son physique extrêmement séduisant rend d’autant plus crédible son ascendant sur les deux femmes. La voix, ample et sonore, ne manque pas d’attraits, mais on regrette tout de même un chant toujours en force, certes efficace, mais dépourvu des nuances qu’exige ce genre de musique.
Giovanna Seymour trouve une interprète d’une grande classe en Elina Garanča qui possède une voix large et un timbre homogène, richement coloré. Rompue aux exigences du style belcantiste, sa ligne de chant, élégante et raffinée, fait merveille. On reproche quelquefois à la mezzo-soprano lettone une certaine froideur qui se révèle ici un atout car sous son apparence lisse et glacée affleure une ambigüité perceptible qui ajoute à la complexité de son personnage.
Anna Netrebko, enfin, effectue une prise de rôle qui fera date dans sa carrière. D’emblée, la cantatrice s’empare avec brio de son héroïne dont elle traduit tous les affects avec les qualités vocales qu’on lui connait : timbre riche aux coloris délicatement ambrés, voix saine au volume généreux, couronnée d’un aigu plein et solide, présence scénique indiscutable. Les ornementations demeurent sobres mais exécutées avec soin. Point ici de suraigus stratosphériques, qui d’ailleurs ne sont pas écrit, cependant le premier acte s’achève sur un contre-ré insolent, longuement tenu. Le fameux « Giudici ad Anna » a des accents callassiens et toute la longue scène finale s’avère miraculeuse tant la cantatrice parvient à créer une intensité dramatique qui va crescendo. « Al dolce guidami » est ciselé avec d’infinies nuances et se conclut sur un pianissimo radieux. Enfin, le redoutable « Coppia iniqua » est interprété avec une rage teintée de désespoir qui soulève l’enthousiasme du public.
En septembre 2011, Anna Netrebko, reprendra ce rôle pour l’ouverture de saison du Metropolitan Opera, et approfondira encore son interprétation, tant du point de vue théâtral que vocal, au point que l’on regrette presque que sa maison de disque n’ait pas attendu quelques mois avant de fixer pour l’éternité son incarnation du personnage.
On l’aura compris, ces DVD, en dépit des quelques réserves exprimées ici ou là, se classent aisément au sommet de la (mince) vidéographie de l’œuvre.
Anna Netrebko dans « Coppia iniqua »