Les ouvrages d’Eric-Emmanuel Schmitt sont guidés par la musique. Déjà « Le Visiteur », qui en 1994 révéla l’homme de théâtre avant que La secte des Egoïstes ne fît connaître le romancier, voyait en Mozart le signe troublant de l’existence de Dieu – autre constante de son œuvre.
« L’écrivain que je suis devenu est habité par la nostalgie du musicien que j’ai laissé derrière moi » confie sur son site le traducteur en français des Nozze di Figaro – et librettiste de Cosi Fanciulli, un opéra-prologue à Cosi fan tutte. Les grands compositeurs considérés comme « des philosophes sans mots » donnent lieu à un cycle d’essais intitulé « Le bruit qui pense ». Et les grands chanteurs ?
Le centenaire de la naissance de Maria Callas, ce 2 décembre, offre à l’écrivain en même temps qu’au musicien l’occasion d’une démonstration par l’absurde du génie de la Divine en un court roman – une nouvelle presque. Soprano imaginaire, Carlotta Berlumi raconte aujourd’hui la manière dont l’évinça des scènes hier celle dont elle continue de contester la gloire. « La Callas ? Vous verrez : bientôt plus personne ne se souviendra d’elle… ». La Berlumi a beau conspuer « cette grosse Grecque avec ses lunettes de myope, mal fagotée, boutonnée, boudinée, flanquée d’un mari sénile » et la monstruosité d’une voix dont elle rappelle à l’envi les stridences et le défaut d’homogénéité. Rien n’y fait. L’étoile de l’une continue de briller au firmament tandis que l’autre, oubliée de tous, y compris des dictionnaires spécialisés, rumine ses rancœurs. Son erreur ? A rebours de sa conception traditionnelle du chant lyrique, ne pas avoir réalisé comment et combien l’art de Callas allait révolutionner le monde de l’opéra.
Cette idée de portrait en creux serait intéressante si le roman ne donnait l’impression d’avoir été écrit sur un coin de table, à la va-vite, pour satisfaire une commande de circonstance. Eric-Emmanuel Schmitt nous a habitué à plus de rhétorique. Invraisemblances, personnages caricaturaux, peu d’idées sinon reçues – « Pourquoi les gays aiment-ils tant entendre les femmes et si peu les toucher ? Admettons – bien qu’un livre, même destiné à un large public, ne doive jamais céder à la facilité. Mais telle qu’imaginée par le romancier, ridicule, pitoyable et accessoirement nymphomane, Carlotta Berlumi peine à convaincre. Pour éviter que la démonstration ne sombre dans le grotesque, il aurait fallu à Maria Callas une rivale à sa hauteur.