Lorsqu’elle enregistra La Traviata à Rome en 1967, la firme RCA avait pu réunir une des distributions vocales les plus remarquables que l’on puisse assembler à l’époque. Rééditée par Sony Classical, cette version fait peau neuve grâce à une nouvelle digitalisation du master original qui permet de donner une vraie jeunesse à l’enregistrement avec un spectre plus détaillé, des aigus plus riches et une quasi absence de bruit de fond. Ainsi rénovée, cette Traviata nous semble avoir été enregistrée hier (on serait hélas bien en peine de trouver un tel trio vocal aujourd’hui !). Montserrat Caballé est ici captée au zénith de ses moyens. Le médium est riche, le timbre somptueux, la voix large et colorée. Avec des coloratures impeccables, la diva catalane se révèle miraculeusement à l’aise dans le « Sempre libera » qui marque théoriquement les limites de ses moyens (mais quand même pas au point d’offrir le mi bémol non écrit !). Mais c’est évidemment dans les passages les plus intimistes que la chanteuse espagnole est proprement exceptionnelle, ses piani éthérés ou ses quelques notes poitrinées ne relevant jamais de l’effet mais d’un art consommé du chant au service d’une interprétation dramatique remarquable, en particulier au dernier acte. Les quelques phrases échangées avec Annina ou le Docteur Grenvil suffiraient à faire pleurer les pierres, comme son sobre et résigné « E tardi ». Que dire alors de l’ « Addio del passato » qui suit où le souffle semble s’éteindre sur les « Tutto fini » …
Incarnation du ténor verdien, Carlo Bergonzi est quasiment sans rival dans ce rôle : richesse du timbre, colorations belcantistes, phrasé et souffle composent un chant plein de noblesse, il ne lui manque que le contre-ut (non écrit) de sa cabalette. Si l’expression « leçon de chant » a un sens, en voici lillustration.
Sherrill Milnes enregistre ici son premier Germont. Si la voix peut sembler un peu claire par contraste avec celle de ces deux partenaires, la noblesse du chant et l’élégance du phrasé contribuent à composer un personnage à l’autorité naturelle, loin de toute caricature. S’appuyant sur un aigu inoxydable, le baryton américain restitue la cabalette qui suit le « Di Provenza », généralement coupée à l’époque, et sait rendre justice aux potentialités dramatiques de ce morceau.
A la parution de l’édition 33 tours, la direction de Georges Prêtre avait été plutôt mal accueillie, un avis souvent repris dans les revues discographiques. Avec le recul, c’est un jugement bien sévère. Certes, on peut s’étonner de quelques singularités dans les tempi qui avancent parfois par à-coups (par exemple, les accélérations et décélérations subites dans le finale de l’acte II que Verdi n’avait surement pas imaginées). Mais, au positif, la qualité du son tiré de l’orchestre est magistrale. De plus, Prêtre sait obtenir une totale intégrité musicale de Caballé et Milnes que l’on a connu parfois un peu trop débridés !
Ajoutons qu’il s’agit d’une des rares versions absolument intégrales de l’ouvrage.
Au final, une réédition indispensable, tant pour le nouveau public lyrique qui pourra découvrir ainsi trois voix de l’âge d’or à leur sommet, que pour ceux qui auraient égaré leur version 33 tours sur la dernière étagère : le coffret est proposé en série économique, et avec un CD Rom contenant le livret. Pourquoi s’en priver !