L’équation n’est pas neuve : comment mettre Traviata aux dimensions d’un espace immense qui est pour ainsi dire la négation de ce que Verdi a voulu inventer dans cet opéra ?
La réponse de Hugo de Ana pour cette production des Arènes de Vérone captée en 2011 est paradoxale et assez amusante. Au lieu de meubler de bric-à-brac la vaste scène, il fait se déplacer les protagonistes parmi un mobilier bourgeois porté à des dimensions géantes. Violetta semble alors une Alice perdue dans l’infiniment grand d’un salon parisien. Si l’effet d’enchâssement des personnages dans cet environnement vu à la loupe doit être intéressant depuis les gradins, il est annulé par la prise de vue du DVD, puisque pour voir les personnages le cadreur doit n’offrir de ce décor énorme que des fragments – assez hideux.
Les chanteurs eux-mêmes ne semblent pas très à l’aise. En particulier, Ermonela Jaho passe toute la première partie de l’opéra à mouliner des bras comme pour s’assurer qu’elle ne coule pas dans ce bain immense. En réalité, rien dans cet espace ainsi géré ne protège les chanteurs, ne leur rend leurs repères. Au contraire, les voici comme de simples Lilliputiens. Ne leur réussit pas non plus la vision de près du maquillage outrancier que requièrent les Arènes. Bref, visuellement on n’est pas à la fête.
Vocalement c’est autre chose. Francesco Demuro et Vladimir Stoyanov se tirent admirablement de leur partie, avec une vaillance, une assurance, qui forcent le respect. Ils font le job, il n’y a pas d’autre mot, tant leur performance est solide à défaut d’être époustouflante.
Avec Ermonela Jaho, c’est autre chose. Avec elle, on a plutôt l’impression d’une éclosion. Elle met du temps à trouver ses marques. Pourtant, elle ne fait pas assaut de prudence. Dès le début, elle donne tout ce qu’elle peut. Mais cela reste sans nuances, un peu forcé. Elle aussi paraît faire le job, avec probité et efficacité. Mais plus cela avance, plus l’instrument se fait docile, plus la force est remplacée par l’expression. Cela se manifeste dès le duo avec Germont, mais c’est tout le dernier acte qui en est le témoin, jusqu’à un « Addio del passato » admirable de sentiment. La chanteuse semble se surclasser elle-même. Elle se transcende, en une mort certes archi-théâtrale, mais vocalement, musicalement, intériorisé, presque sublime. C’est ce qu’on appelle le sacrifice mesuré. Une façon supérieurement artiste de se donner entièrement sans pourtant se brûler. Epatante.
On n’est pas moins surpris par la direction de Julian Kovatchev : loin de se résoudre à faire de l’effet, il ménage des effets. Combien de fois est-on soudain accroché par un trait mélodique, une couleur instrumentale, qui fusent jusqu’aux chanteurs pour les soutenir, les envelopper, les aider.
Un simple CD aurait-il suffit à notre bonheur ? Non car c’est en mesurant visuellement les contraintes et les exigences qui pèsent sur ces artistes qu’on perçoit mieux la défonce qui fait de leur performance quelque chose comme un exploit artiste.
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