Avec ce disque consacré à Alain Vanzo dans le répertoire italien, le label Malibran remplit pleinement sa mission et vient nous remettre en mémoire des gloires injustement négligées. Car si la suprématie du ténor est connue et reconnue dans la musique française, on oublie trop aisément qu’il brilla aussi dans l’opéra italien, comme l’y invitaient ses origines familiales : monégasque, Alain Vanzo était d’ascendance transalpine et la langue n’était donc pas pour lui un obstacle. Et comme on le dit dans la version française du quatuor de Rigoletto, « Un jour, bel ange, un jour béni », il est apparu pour chanter l’italien.
Les choses s’engagent pourtant de manière un peu curieuse, avec les deux extraits de Don Giovanni. On s’étonne de la blancheur de la voix sur certains aigus, et cet Ottavio paraît un peu trop désincarné, un peu trop chanteur de charme. Heureusement, il s’enhardit un peu pour annoncer qu’il reviendra seulement pour annoncer morts et massacres… Pour échapper à toute mièvrerie, le personnage a sans doute besoin de plus vigueur dans l’accent, mais ce qu’on ose à peine appeler un défaut devient une qualité aussitôt qu’on aborde le répertoire authentiquement italien. Ecoutez ces Rossini tels que plus personne n’existe aujourd’hui pour les chanter avec une telle morbidezza ; on se résigne aujourd’hui souvent à entendre dans cette musique des timbres sans séduction, uniquement parce qu’ils ont la virtuosité requise. Vanzo ne craignait pas d’émettre les suraigus en voix de tête, mais cela nous vaut une séduction rare dans tout le reste de la tessiture.
On le sait, Joan Sutherland n’eut pas toujours la main heureuse en matière de ténors : Vanzo avait été son partenaire à Paris et à Londres dans Lucia di Lammermoor, que ne fit-elle appel à lui pour d’autres enregistrements que sa Lakmé de 1968, puisque, surtout dans le répertoire romantique français, il aurait été infiniment préférable au calamiteux Anastasios Vrenios dans Les Huguenots ? Son Edgardo est parfait, sa « Furtiva lagrima » est comparable aux témoignages que les plus grands ténors nous ont laissés.
Quant aux versions françaises, qui alternent ici avec les originaux en italien, elles ne doivent en aucun cas disqualifier ces enregistrements. Du temps où Puccini appartenait au répertoire de l’Opéra-Comique (qui en gardait jalousement l’exclusivité), il semblait tout naturel de chanter en français La Bohème – d’autant plus que l’action se situe à Paris – où Madame Butterfly. Ce Rodolphe-là est bien un poète, et même l’odieux Pinkerton devient artiste quand Alain Vanzo lui prête sa voix. Et bien que francophone, le Rigoletto qu’on entend ici n’est décidément pas à dédaigner : Renée Doria pouvait certes chanter Olympia, mais elle avait aussi à son actif des rôles autrement exigeants, et elle s’intègre parfaitement au quatuor du dernier acte ; quant à Robert Massard et Denise Scharley, on ne voit guère comment on pourrait espérer mieux que ce Rigoletto éloquent et cette Maddalena majestueuse (écoutez ses « Ah ah, j’en ris ! » dans le quatuor). Chanté par Vanzo, le Duc de Mantoue est presque trop sympathique ; dommage qu’on ne l’entende pas aussi dans « Possente amor mi chiama ». Seul bémol : l’orchestre dirigé de façon un peu prosaïque et lourde par Jésus Etcheverry. Chez Verdi, Alain Vanzo fut aussi un superbe Riccardo du Bal masqué, avec pourtant de tout autres moyens qu’Albert Lance, également interprète du rôle au Palais Garnier.
Ce disque inclut une vraie rareté, l’extrait de l’autre Bohème, celle de Leoncavallo, et l’on se demande quand la France se décidera enfin à donner sa chance à cette œuvre. On entend aussi un extrait du Chevalier à la rose, sans doute venant des représentations dirigées par Louis Fourestier en 1962 à l’Opéra de Paris, avec Elisabeth Schwarzkopf, Suzanne Sarroca et Liliane Berton. Entre les deux couplets du chanteur italien, on découvre d’autres partenaires d’Alain Vanzo : si le notaire, aux halètements comiques, ne semble pas avoir l’allemand pour langue maternelle (il s’agirait de Michel Forel), l’Ochs du Britannique Michael Langdon paraît beaucoup plus à son aise, à défaut d’être vraiment truculent. Ce document sonore appartient à Madame Alain Vanzo, et l’on rêve de pouvoir un jour en découvrir l’intégralité.