Rappeler que la France connut jadis de grandes voix en dehors de la poignée de noms que connaissent encore les moins de vingt ans, voilà une noble tâche à laquelle se consacre le label Malibran, tâche néanmoins compliquée par le mépris dans lequel ces artistes furent souvent tenus par les studios d’enregistrement : heureusement, grâce à quelques collectionneurs passionnés qui détiennent de précieuses bandes, il est possible de nous donner entendre ce qu’était encore l’école française de chant au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale.
Encore faut-il ne pas faire fuir les néophytes, et savoir appâter le chaland. Dans ce nouveau volume de la série « La troupe de l’Opéra de Paris », les airs réunis par Malibran sont présentés par ordre chronologique de composition, et le disque s’ouvre donc sur « Divinités du Styx ». Erreur fatale ! Alors que la plupart des autres plages sont d’une qualité sonore globalement acceptable, ce Gluck est une véritable épreuve pour les oreilles. Et pour tout arranger, une coupe malencontreuse a fait sauter tout le premier couplet… Plus écoutable, l’air d’Electre d’Idoménée correspond néanmoins à un répertoire où le style d’interprétation a beaucoup changé en un demi-siècle. Le meilleur conseil qu’on puisse donner à l’auditeur est donc de réserver ces deux premières plages pour plus tard. Dès que l’on entre dans le répertoire romantique, tout s’arrange, et il devient possible d’admirer comme elles le méritent les qualités de l’interprète, même si les orchestres ne brillent pas toujours par leur justesse.
A part Louise sous la direction de Jean Fournet (Philips) et quelques mélodies de Fauré, Berthe Monmart fut trop rarement l’invitée des studios. Etait heureusement disponible une Ariane et Barbe-Bleue dont un passage figure ici, et Malibran avait notamment édité sa superbe Pénélope de Fauré. Née en 1921, décédée en 1997, Berthe Monmart fut incontestablement une grande voix, par l’ampleur de sa tessiture (grand soprano dramatique, elle finit par aborder des rôles comme Fricka ou Herodias) et par la noblesse de son chant. Même en français, ce qui peut déconcerter le mélomane désormais habitué à la version originale, l’air d’Agathe et celui de Rezia sont de véritables leçons. Sa Butterfly nous rappelle quel temple puccinien fut longtemps la Salle Favart (l’extrait de Manon Lescaut renoue hélas avec les aigus saturés des premières plages). Berthe Monmart est aussi une belle Santuzza et, exception à la règle de la traduction, l’air de La Force du destin est en italien. On peut préférer une véritable mezzo en Margaret, et il est permis de trouver un peu trop sage sa Béatrice de Berlioz. Mais Louise, dont elle savait si bien exprimer le bonheur pudique, est définitivement un rôle qui convenait à merveille à Berthe Monmart, comme le confirme le « Depuis le jour » enregistré en public qui termine ce parcours. Oh oui, vraiment, commencez donc par la fin.