Maria Callas, habituée du rôle sur scène en particulier dès le début de sa carrière, n’avait plus chanté le rôle de Turandot sur scène depuis neuf ans et des représentations de mai 1949 au Teatro Colon de Buenos Aires, avec Mario del Monaco, – soirées dont il existe des extraits en CD -, lorsque elle revint, toujours avec le maestro Serafin, devant les micros de EMI pour graver le dernier opéra de Puccini. Heureusement…
Fruit de la collaboration avec Walter Legge, cet enregistrement, que Naxos réédite dans une collection économique très bienvenue mais avec une qualité sonore modeste, réunit un couple de soprani au sommet, avec Elisabeth Schwartzkopf en Liù. Cet enregistrement vient ainsi s’inscrire dans la longue série des oppositions spectaculaires que l’on connaissait déjà, avec, entre autres, Inge Borkh et Renata Tebaldi (Erede, 1955), Nilsson avec Scotto (Molinari-Pradelli pour EMI en 1965) puis Tebaldi (Leinsdorf pour RCA en 1959), Sutherland et Caballe (Mehta pour Decca en 1972). L’épouse de Legge donne une Liù très curieuse. Excessivement précieuse, maniérée même, la jeune esclave mute sous nos yeux en princesse viennoise et n’emporte pas la conviction.
Pour revenir à Callas, sa distance avec le rôle ne transparaît en rien même si Turandot n’est sans doute pas sa meilleure incarnation et si, en cet été 1957, la dernière partie du In questa reggia la met quelque peu en difficulté. Il demeure que Callas n’est jamais banale, notamment lorsqu’elle explique les raisons de sa vengeance éternelle. Son autorité est impressionnante, notamment dans la scène des énigmes et elle parvient, loin des Walkyries reconverties en soprani pucciniennes, à émouvoir profondément. Cette Turandot-là est un admirable témoignage du talent tout terrain de Callas.
Son partenaire est Eugenio Fernandi. Le ténor pisan, alors encore en début de carrière, et avant de devenir un habitué du Met où il passa treize saisons de 1958 à 1971, parsemées de grands succès, se lança bien vite dans des rôles trop lourds pour sa vocalité, dont Calaf est une illustration. Sans démériter, en particulier dans les duos avec Callas et dans le Nessun dorma donné sans retenue, son timbre est bien trop clair pour Calaf, surtout si l’on se rappelle qu’à l’époque, les meilleurs titulaires du rôle se nommaient Franco Corelli ou Mario del Monaco.
Le reste de la distribution n’appelle que des superlatifs. Le Timur de Nicola Zaccaria est impérial, de même que les trois mandarins, parmi lesquels on note Piero de Palma. On relève aussi en Empereur Altoum la présence de Giuseppe Nessi, qui chantait le rôle de Pong lors de la création de l’œuvre à la Scala en avril 1926.
La Scala, justement, met ses forces à disposition du Maestro Serafin, habitué de la partition et cela se sent. Aucune chinoiserie artificielle mais une justesse et une pertinence de tous les instants, dès les premiers accords, qui plantent le décor.
Un enregistrement précieux, unique, qui, s’il n’existait pas, ferait gravement défaut à la discographie.
Jean-Philippe THIELLAY