Si La Wally est un opéra largement inconnu du grand public, sa musique l’est un peu moins grâce au « tube » de la partition « Ebben ? Ne andrò lontana », popularisé par le film Diva, et plus encore par son utilisation publicitaire. En dehors du présent enregistrement, la discographie se limite à plusieurs captations de Renata Tebaldi, de qualités diverses. En dépit des mérites de la partition, les productions de l’ouvrage sont rares, mais il faut reconnaître qu’il n’est jamais aisé de représenter sur scène une avalanche ou un sauvetage au fond d’un ravin. Pour résumer, Gellner (le baryton) est amoureux de Wally (la soprano), elle-même entichée d’Hagenbach (le ténor) que déteste Stromminger, son père (la basse). La basse veut marier le soprano au baryton, mais elle refuse : elle quitte la maison pour toujours (elle en profite pour chanter le « tube » précité pour clore l’acte I en beauté). Un an plus tard, papa est mort et Wally est libre et riche. A la suite d’un pari idiot, Hagenbach arrache un baiser à la jeune fille. Quand celle-ci apprend que ce n’était qu’un jeu, elle enrage et demande à Gellner de tuer le jeune homme. Acte III : tout bien réfléchi, Wally ne veut plus supprimer celui dont elle est éprise, et dont elle pense qu’il en aime une autre, Afra. Trop tard : Gellner l’a déjà poussé au fond d’un ravin. Munie d’une corde, Wally va sauver elle-même Hagenbach et le laisse, inanimé, aux bons soins d’Afra. Au dernier acte, Hagenbach rejoint Wally dans la montagne pour lui déclarer son amour et les amants sont enfin réconciliés. Parti à la recherche d’un chemin sûr, il est emporté par une avalanche. Wally le rejoint en sautant dans le vide. L’intrigue est efficace à défaut d’être particulièrement originale et, en dépit des difficultés évoquées, l’ouvrage est plus facile à apprécier à la scène qu’avec le seul support audio. Les airs sont plutôt rares, Catalani optant le plus souvent pour une conversation musicale, s’inspirant du modèle wagnérien.
Il faut deux voix pour chanter Wally. L’air précité exige plutôt un lirico-spinto, capable d’exprimer une mélancolie douce, une tristesse résignée, en abordant avec souplesse les sauts de registres, et en alternant les forte et les piani. Hariclea Darclée, la créatrice du rôle, fut d’ailleurs la première interprète de Tosca. Éva Marton a un peu de mal à plier son instrument à ces exigences, mais sait compenser par un travail intelligent sur l’interprétation. Toutefois, Wally, c’est aussi une femme de tête, capable de résister à un amoureux trop entreprenant ou de projeter la mort de son amant : là, le soprano dramatique est tout à fait à son aise, impressionnant, sans véhémence excessive (un défaut de ses Tosca) mais avec une froide passion. Le timbre est riche, typé, les aigus… énormes ! Le vibrato est généralement bien contrôlé. On n’attendait pas dans ce répertoire le soprano hongrois, surtout connu pour ses interprétations wagnériennes ou straussiennes, mais Marton fait mieux que tirer son épingle du jeu et offre une interprétation convaincante de l’héroïne de Catalani, même si on peut regretter un certains manque d’italianité. Le rôle de Giuseppe Hagenbach réclame plutôt un ténor spinto, voire dramático. Tenore di grazia remarquable dans Mozart, Francisco Araiza est loin d’avoir l’ampleur vocale requise, et encore moins le style. Certes, toutes les notes sont émises, mais systématiquement forte ou mezzo forte, avec une projection uniforme, sans variations de couleurs, et avec des nasalités pas toujours agréables : on a l’impression d’un rossinien survitaminé égaré hors de ses terres (dans les dernières années de sa carrière, le ténor mexicain infligera le même traitement à Alvaro dans La Forza del destino, à Don José dans Carmen ou encore à Andrea Chénier, sans que sa voix, d’une incroyable solidité, n’en pâtisse trop). Alan Titus est un Vincenzo Gellner un peu monolithique dramatiquement inquiétant, au chant efficace, et attentif à la couleur des mots. Francesco Ellero d’Artegna grossit exagérément sa voix, dans une caricature de Boris Christoff. Dans le petit rôle d’Afra, qui a tout de même les honneurs d’un air, Birgit Calm est musicalement parfaite. Excellente contribution également de la part de Julie Kaufmann, et on notera en messager le jeune Michele Pertusi.
La direction de Pinchas Steinberg est efficace et professionnelle, mais n’évite pas quelques tunnels. Il y faudrait un James Levine. L’orchestre de la Radio de Munich sonne un peu martial mais les chœurs sont irréprochables.