A ceux qui pensent que Vittorio Grigolo n’est qu’un beau gosse de plus, avec pour seul atout un physique de latin lover, ce premier récital d’airs d’opéra offre un démenti catégorique. Le bel indifférent qui pose face à l’objectif le regard songeur n’est pas seulement un produit fabriqué pour un public en quête d’icônes, il chante aussi et plutôt pas mal. Evidemment, on retrouve dans ce premier exercice tous les péchés de jeunesse qui, à leur manière, font le charme du débutant. Le titre de l’album d’abord – The italian tenor – suggéré à Vittorio Grigolo par son ami Sylvester Stallone* (ce que l’on veut bien croire compte tenu de sa platitude). Le programme ensuite avec des airs qui ne sortent pas des sentiers piétinés par ses aînés. Vittorio Grigolo a beau insister sur les raretés que représentent Il Corsaro de Verdi et Il Villi de Puccini*, tous les mélomanes, un tant soit peu avertis, connaissent ces deux extraits pour les avoir déjà entendus interpréter par bon nombre de ténors. Le choix enfin de certains rôles qui, pour un jeune chanteur de sa carrure, semblent trop ambitieux. Quelles que soient les qualités – nombreuses, nous le verrons – de Vittorio Grigolo, le lamento de Mario Cavaradossi dans Tosca demande plus de maturité dans l’essence même du chant (la vocalité, l’interprétation; …). « Donna non vidi mai » (Manon Lescaut) que l’on a l’habitude d’entendre par des voix plus corsées ne présente pas beaucoup plus d’intérêt. On s’interroge en passant sur ce besoin qu’ont les ténors foncièrement lyriques (ce qu’est aujourd’hui Vittorio Grigolo) de vouloir transgresser leurs limites quand, dans leur catégorie, le passé offre des exemples de ce qu’il faut faire – Pavarotti – ou ne pas faire – Di Stefano. Affaire de goût, on préfère aussi un Manrico (Il Trovatore) plus musclé même si pour le coup, la douceur juvénile de « Ah! sì, ben mio » se conçoit. Le « Di quella pira » en revanche n’impressionne pas, exception faite d’un contre-ut ravageur.
Pour le reste, les airs sélectionnés tombent pile poil dans les cordes de notre ragazzo dont la séduction du timbre est à l’image du physique. Une plastique naturelle, un grain délicat, une matière soyeuse, aux reflets changeants comme l’ombre que dessine la barbe brune sous une peau fine. Un charme inné qui donne à tous ces jeunes premiers une allure idéale. Rarement, Rodolfo (La Bohème), Nemorino (L’elisir d’amore), Corrado (Il Corsaro), Riccardo (Un ballo in maschera) n’ont été aussi crédibles. Ce dernier surtout dont on aurait pu craindre que l’intensité amoureuse du « Ma se m´è forza perderti » ne se dissolve dans une eau trop claire. Au contraire, léger au point de se laisser déborder par ses sentiments, cohérent dans ce parti-pris, irrésistible.
Mais la beauté seule ne suffit pas à tracer un portrait musical. C’est là où Vittorio Grigolo fait la différence. Le travail sur l’interprétation, sans qu’il apparaisse trop évident (le naturel en souffrirait), nous vaut mieux que des vignettes alignées les unes derrière les autres. L’attention portée au mot montre la complicité qu’entretient le ténor avec sa langue maternelle (d’où cette italianité revendiquée dans le titre de l’album). La caractérisation ne touche pas au génie (certains effets reviennent invariablement) mais le chant contient suffisamment d’intentions pour éviter toute sensation de monotonie (l’un des risques du récital au disque). La technique, enfin, est assez solide pour supporter crânement des partitions sans concessions : la ligne est souple et ferme, le souffle long, l’aigu vainqueur. Au mépris des puristes mais dans une approche belcantiste qui trahit ses origines rossiniennes (il débuta dans le rôle de Narciso du Turc en Italie), Vittorio Grigolo n’hésite d’ailleurs pas à hisser quelques notes à l’octave supérieur : contre-ré bemol dans « Sì: de´ corsari il fulmine » (Il Corsaro), contre-ré dans « Possente amor mi chiama » (Rigoletto), la plage que l’on retiendrait s’il fallait n’en choisir qu’une. Parce que la cabalette du duc de Mantoue ne se trouve pas si souvent au disque (certaines intégrales l’omettent carrément et les ténors dans leurs récitals se limitent prudemment à la première partie de l’air), parce qu’aussi l’insolence, la gourmandise, le sex-appeal, tout ce qui définit le rôle s’expose et s’impose ici comme une évidence.
Plus que les artistes invités – Maria Cioppi, Luca Casalin, Danilo Rigosa – qui, comparés à la séduction de leur hôte, font pâle figure, la direction de Pier Giorgio Morandi n’appelle pas de réserves. Chœurs et Orchestre du Teatro Regio de Parmae obligent, Verdi est plus à la fête que Puccini mais là n’est pas le propos. On sent bien que ce qui compte d’abord, c’est d’apporter le soutien nécessaire au jeune ténor afin qu’il se présente sous son meilleur profil. Mission accomplie.
Christophe Rizoud
* Cf. l’entretien que Vittorio Grigolo a accordé à Edouard Brane