Il serait inexact de dire que La Force du destin de Verdi fait aujourd’hui son entrée dans la merveilleuse et indispensable collection de l’Avant-Scène Opéra avec le numéro 321. Car l’œuvre avait déjà fait l’objet d’un volume voici plus de 30 ans, avec le numéro 126, dont la discographie avait été complétée en 2011.
Mais il serait tout aussi inexact de dire que ce numéro 321 constitue une simple révision du précédent. Il s’agit en réalité d’une importante refonte, avec comme (beaux) vestiges du précédent quelques articles, comme celui de Jean-François Labie (« L’opéra aux deux visages ») ou de Jean-Michel Brèque (« Sources, faiblesses, présentation d’un scénario »), dont les parallèles avec Don Juan pourront vous surprendre, voire vous agacer, mais assurément vous intéresser.
Disons-le d’ailleurs d’emblée, ce volume ne décevra pas les habitués et admirateurs de l’Avant-Scène Opéra. Comme toujours, vous saurez tout de l’œuvre, de sa conception, de ses choix, du caractère hybride voulu par Verdi, de ses sources et de son cadre historique, de ses défis interprétatifs et de ses témoignages au disque. C’est une mine d’informations qui passionnera tout autant les mélomanes que les historiens et même les amateurs de littérature (voyez par exemple le passionnant article consacré au duc de Rivas, auteur du drame qui inspirera le livret).
Comme toujours, le guide d’écoute est idéal pour suivre l’œuvre pas à pas. Avec un bémol, toutefois : puisque l’ouvrage nous rappelle très vite qu’il existe deux versions (1862 et 1869), avec des éléments très différents (ouverture, finale…), on peut regretter que le guide d’écoute, tout comme le livret intégral, s’en tiennent à la seule seconde version, sans doute au motif que c’est celle qui est la plus communément représentée. L’exhaustivité de ce volume n’en aurait pourtant été que plus grande. Une idée pour la prochaine édition, peut-être ?
L’article sur la bataille de Velletri vous éclairera sur les chassés-croisés hispano-italiens de la partition, qui ne sont pas pour rien dans la complexité dont La Force du destin est souvent accusée. Vous ne pourrez être que captivés par le petit lexique des « Jeux de la mort et du hasard » de Constance et Hélène Malard et vous pourrez partager – ou pas – l’avis de Christophe Rizoud qui ne fait entrer au Panthéon musical que 6 interprètes de Leonora, de Maria Callas à Leontyne Price, mais sans aucune chanteuse contemporaine. Nullement parce qu’il n’y en aurait pas – pensons à Eva-Maria Westbroek, Anja Harteros, Anna Netrebko ou Nina Stemme, par exemple – mais parce que pour l’auteur de l’article, il faut plus qu’une incursion épisodique pour marquer les esprits. Enfin, puisque La Force du destin a été créée à Saint-Pétersbourg, impossible de ne pas évoquer les liens entre Italie, opéra et Russie. André Lischke signe à ce sujet le dernier article – lui aussi passionnant – de l’ouvrage, avant la discographie révisée par Jean Cabourg, avec son inévitable part de subjectivité, mais d’une précision implacable. C’est la vidéographie, signée Chantal Cazaux, qui connaît l’évolution la plus significative, du fait de la multiplication des captations ces dernières années, et qui s’achève avec la version de Martin Kusej pour l’opéra de Munich en 2013, dirigée par Asher Fisch avec un trio idéal : Kaufmann/Harteros /Tézier.
Vous l’aurez compris, ce nouveau numéro de l’Avant-Scène Opéra est, sans surprise, d’un incontestable intérêt et donc à ce titre parfaitement recommandable pour augmenter la taille de votre bibliothèque. Un seul regret pourtant : l’ingénieux système d’écoute relié à l’application ASOpéra et qui promettait de faire entendre des extraits de la version de Molinari-Pradelli de 1955 (retenue par nos confrères de Diapason dans le premier volume de leur discothèque idéale consacré aux opéras de Verdi) n’a hélas pas fonctionné sur les appareils de votre serviteur (*). Mais au fond, ça n’est qu’une excuse pour écouter ou réécouter derechef une intégrale, et peut-être même celle-ci, le guide d’écoute en main !
(*) Epilogue : le petit incident technique, auquel le récent incendie du centre de données OVH à trasbourg n’était pas étranger, est désormais réparé et les liens fonctionnent à nouveau. Encore une bonne raison de lire cette nouvelle version de l’Avant-scène Opéra !