Mozart et l’Avant-Scène Opéra, c’est une vieille histoire. Comme nous l’avaient rappelé en 2017 Michel Pazdro et Chantal Cazaux, tout avait commencé par un numéro consacré à La Flûte enchantée. Quand avait sonné l’heure des Noces de Figaro, vingt volumes avaient déjà vu le jour. Le premier volet de la trilogie Da Ponte se vit donc consacrer en mai-juin 1979 le numéro 21, remplacé par un numéro double, le 135-136, en novembre-décembre 1990 (à l’approche du bicentenaire de la mort) ; en mars 2007, Christian Merlin avait procédé à une indispensable mise à jour de la disco-vidéographie, tandis qu’Elisabetta Soldini en faisait autant pour « L’œuvre à l’affiche ».
Autrement dit, avec le présent numéro 314, c’est la troisième fois que ces Noces sont célébrées par l’ASO, à moins que l’actualisation de 2007 nous oblige à parler d’une quatrième. Comme à chaque fois, il s’agit de trouver un délicat équilibre entre le renouvellement et la préservation de valeurs sûres. Après le passage à la couleur il y a une quinzaine d’années, la nouvelle génération se pare d’un avantage supplémentaire, les extraits audio disponibles grâce à l’appli ASOpéra (en l’occurrence, l’enregistrement dirigé par Giulini en 1961, sauf – évidemment – pour les deux airs de substitution composés en 1789, qui ne figurent pas dans les verstions classiques, et que l’on entend dans l’intégrale gravée par Arnold Östman en 1987).
La nouveauté majeure concerne la pièce de résistance. Jadis chargé de la seule Bibliographie, Michel Noiray se voit confier l’ « Introduction et Guide d’écoute », qui se substitue au « Commentaire musical et littéraire » de Dominique Jameux. Pétri d’admiration pour cette œuvre – comme on le comprend ! –, le musicologue excelle à souligner comment Mozart s’est approprié le texte de Da Ponte (peut-être participa-t-il à l’adaptation de la pièce de Beaumarchais en livret d’opéra, afin d’exploiter au mieux tout ce qui pouvait se prêter à la mise en musique), comment la partition exprime et traduit la moindre nuance de sentiment. Michel Noiray nous montre également à quel point l’œuvre s’inscrit dans le prolongement de deux décennies d’opera-buffa viennois qu’elle vient révolutionner.
Dans les articles qui suivent le Guide d’écoute, par-delà le réagencement qui en modifie l’ordre, on retrouve les signatures prestigieuses, dont quelques défunts comme Brigitte Massin et Jean Starobinski. Deux nouveautés, les articles de Sophie Lefay, sur la trilogie de Beaumarchais, et d’Etienne Barilier, consacré à Chérubin sous le regard de Kierkegaard. Le marché du disque et du DVD tournant toujours, Christian Merlin déjà présent en 2007 revient et examine cette fois une cinquantaine de versions audio et surtout une trentaine de versions vidéo, reflet des différentes options désormais possibles, du strict respect des didascalies aux transpositions les plus imaginatives.
Exeunt en revanche Lisa Della Casa, Lucia Popp, Dietrich Fischer-Dieskau et José Van Dam, jadis chargés d’évoquer l’art du chant mozartien (pour lire ces témoignages, on peut néanmoins se reporter au site de l’ASO, où ils sont accessibles gratuitement). O tempora, o mores, c’est désormais le metteur en scène qui évoque sa vision du premier volet de la trilogie Da Ponte. Dans un entretien très développé, Ivan Alexandre livre les clefs de sa production créée à Drottningholm et vue en 2016 et en 2017 à Versailles, où elle sera reprise en 2021.
Côté image, la production James Gray présentée fin novembre au TCE et reprise à la fin du mois à Nancy connaît cette fois les honneurs de la couverture et fournit bon nombre d’illustrations au volume. Outre les images plus anciennes, en noir et blanc, datant des premières décennies de l’après-guerre, on trouve ici un aperçu des mises en scène les plus marquantes du dernier demi-siècle : sont donc présents Strehler avec la version de 1973 et avec la reprise de 2010, mais aussi Marthaler, Martinoty, Guth ou Sellars (avec pour ce dernier une petite erreur d’identification, quand le comte de James Maddalena est pris pour Antonio, p. 70).