L’Avant-Scène Opéra propose un nouveau numéro sur Peter Grimes. Le précédent, datée de la fin des années 1970, avait été réédité en 1991. Une mise à jour s’imposait. La prise de rôle de Jonas Kaufmann à Vienne prochainement n’est pas étrangère à ce choix. Comme à l’habitude, certains articles de la version initiale ont été repris ; d’autres non.
Exit la genèse de l’œuvre racontée par Benjamin Britten lui-même, le portrait du compositeur par Marcelo Cervello, l’interview de Marcel Huylbrock qui fut le principal interprète du rôle-titre dans les années 1960, et l’analyse par Amain Féron de la modernité du langage musical de Peter Grimes, aujourd’hui hors de propos.
Des extraits de The Borough, dans sa version anglaise originale et dans sa traduction française sont reproduits. Le poème de George Crabbe (1754-1832), divisé en vingt-quatre parties dénommées « lettres » (letters), a inspiré le livret de Peter Grimes. Comment ce clergymen, poète populaire qui a joui de son vivant d’une extrême célébrité, homme gâté par la fortune, seigneur de deux châteaux, époux et père comblé, a-t-il pu écrire un texte aussi noir ? C’est à travers le prisme de son enfance misérable que Charles Pitt apporte une réponse à la question.
Si la lettre XXI de The Borough raconte la destinée douloureuse d’Eileen Orford, la maîtresse d’école chez Crabbe n’entretient aucune relation avec Peter Grimes. Ce dernier n’est pas le marginal que le public de l’opéra aujourd’hui prend en pitié mais un malfrat de la pire espèce. Le détournement de l’histoire originelle est l’œuvre conjuguée de Benjamin Britten et Montagu Slater, son librettiste. Les deux hommes entretinrent une relation orageuse dans laquelle le compositeur ne joue pas forcément le meilleur rôle, si l’on en croit Laurent Bury.
Plus personnel – et inhabituel dans les publications de l’Avant-Scène Opéra –, Pierre Flinois offre le récit de sa relation avec Peter Grimes, opéra d’abord appréhendé au disque via l’enregistrement historique de 1959 puis découvert sur scène en 1981 à l’Opéra de Paris avec Jon Vickers dans le rôle-titre. Ce premier contact, on s’en doute, engendra une émotion rare qu’en lyricomane consommé, le critique musical cherche depuis à retrouver.
Vivre en salle Peter Grimes est une expérience dont on peut ne pas sortir indemne. Et le chanter ? Deux des plus grands interprètes du rôle, Peter Pears et Jon Vickers, ont du mal à accorder leur violon : « Ni héros, ni méchant » pour le premier, « héros et méchant » pour le second. Qu’en pense Jonas Kaufmann ?
Outre l’actualisation de la discographie, de la vidéographie et de « l’affichographie », le nouveau commentaire musical de Jean-François Boukobza apporte un éclairage qui, par comparaison avec le précédent, semble d’une lecture plus approfondie, savante sans être obscure, et d’un style plus vivant. S’il fallait choisir entre les deux numéros, ce guide d’écoute ferait pencher la balance en faveur du plus récent. Sans hésitation, ni regret, l’édition papier de la publication originelle est épuisée (mais, pour les collectionneurs, l’édition numérique reste disponible).