Il est des disques dont on se demande à la fois comment ils ont été conçus et à qui ils s’adressent. Mozartienne reconnue, la soprano belge Sophie Karthäuser est très présente au disque cet automne. Il y a quelques mois, elle partageait avec Stéphane Degout un double-CD consacré aux mélodies de Debussy, et la revoilà déjà avec un récital inspiré par la présence animalière dans l’univers de la mélodie française. Il faut bien trouver un thème, dira-t-on, alors pourquoi pas celui-là. Il n’est pas très original, et d’autres l’ont déjà exploité. Des bébêtes, il y en a beaucoup chez Poulenc, chez Ravel (dont deux des Histoires naturelles se sont ici perdues en route) ou chez Chabrier, pour citer les noms qui viennent en premier à l’esprit. On trouvera aussi des volatiles ici et là, chez Fauré ou Chausson, bien sûr. Pour le reste, il faut fouiller un peu plus, mais on finit par trouver : une fable de La Fontaine mise en musique, quelques pièces pour piano seul, afin que l’accompagnateur puisse se faire entendre seul, et le tour est joué. Surtout si l’on s’autorise quelques écarts : dans les Trois mélodies sur des poèmes de Léon-Paul Fargue d’Erik Satie, la première évoque « la grenouille du jeu de tonneau », animal assez inanimé tout de même, mais les deux autres s’éloignent résolument de toute forme de bestiaire (et contrairement à ce qu’écrit Denis Herlin dans le livret, le duo de Mireille parodié dans « Le Chapelier » ne figure pas au cinquième, mais au deuxième acte de l’opéra de Gounod). Enfin, fallait-il vraiment convoquer le sempiternel Duo des chats, même pour en offrir une version pour soprano et contre-ténor ?
Quant à la forme, ce disque prend une forme assez inhabituelle, et séduisante, il faut l’avouer : le livret d’accompagnement en accordéon (« leporello », diraient nos amis anglophones ou germanophones), 40 pages dont la moitié est occupée par un texte de présentation et les poèmes mis en musique, en assez petits caractères et dans une typographie serrée qui entasse les vers sans suivre la mise en page traditionnelle. L’autre moitié, l’autre face, est occupée par des illustrations commandées à Jacques Guillet, artiste auquel Harmonia Mundi avait déjà demandé la pochette d’une Histoire du soldat sortie en septembre dernier. Malgré l’élégante sobriété du style des images en question, on a un peu l’impression que l’objet vise potentiellement le « jeune public », impression trompeuse dans la mesure où les textes chantés sont tout sauf enfantins (ni Jules Renard ni Apollinaire ne visait un lectorat juvénile).
Et la manière dont Sophie Karthäuser les chante ne saurait guère éveiller l’intérêt des chères têtes blondes, dans la mesure où elle peine déjà à susciter celui du mélomane aguerri. Ce prétendu bal ne danse guère, et la soprano se cantonne à un registre de couleurs extrêmement limité, comme s’il y avait quelque chose d’indécent à se montrer un rien plus expressif. Sans tomber dans le surcharge de clins d’œil, sans basculer dans la vulgarité, il devrait bien être possible de créer une plus grande complicité avec l’auditeur (le Duo des chats, peut-être sous l’influence de Dominique Visse, n’est pas loin de pécher par excès inverse). De manière générale, les bestioles sont trop froidement décrites, sans engagement. Même le piano semble mou, sous les doigts d’Eugène Asti : aucune effervescence dans « Les Cigales » de Chabrier, aucune ironie, rien de saillant nulle part. Le monde de la mélodie ne devrait jamais exclure le théâtre ; l’oublier, c’est le condamner à une mort certaine.