Comme Pavarotti jadis, Dmitri Hvorostovsky jouit d’une telle notoriété qu’il peut organiser des concerts sur le principe « Hvorostovsky and Friends ». Heureusement, il a le bon goût de mieux choisir ses amis que feu Luciano. Grâce à des origines slaves plus ou moins proches, Sondra Radvanovsky fait presque figure d’enfant du pays ; comme son nom ne l’indique pas, mais comme son accent le révèle dès les premières secondes du bonus, Constantine Orbelian est un chef américain. La réunion de ces ingrédients pouvait sembler prometteuse, mais force est de déchanter un peu.
Pianiste de formation, Orbelian propose une lecture assez passe-partout des morceaux programmés. Par ailleurs, le duo formé par les deux solistes ne fonctionne peut-être pas aussi bien qu’on pouvait l’espérer, dans la mesure où il s’agissait de leur toute première prestation ensemble, sorte de répétition générale avant que les artistes ne se retrouvent sur scène dans Le Trouvère, à Londres, à New York et à San Francisco. La première impression est celle d’un assaut de décibels, mais à ce jeu-là il n’est pas sûr que le baryton l’emporte sur sa partenaire, qui a de la puissance vocale à revendre, et qui s’investit dramatiquement beaucoup plus. Le beau Dmitri ne se fatigue pas trop pour exprimer la psychologie des personnages qu’il interprète, et même la mort de Posa est déclamée avec une certaine agressivité, à la limite de la brutalité. On admire néanmoins la richesse du timbre, et surtout l’ampleur du souffle, qui lui permet de tenir des phrases très longues (« O dolcezze perdute » dans l’air de Renato, par exemple) sans guère prendre la peine de respirer de l’une à l’autre.
L’unique incursion hors du répertoire verdien, l’extrait de Faust, est chanté dans un français très correct, mais par la noirceur du timbre et ses intonations menaçantes, ce Valentin ressemble davantage à un Méphisto ! Hvorostovsky insère un aigu tout à fait inhabituel dans l’avant-dernier « ô roi des cieux ». Sondra Radvanovsky en fait autant dans la phrase « Lo giuro a Iddio » du duo du Trouvère, après quoi l’affrontement de Luna et de Leonora se conclut un peu mollement.
Surtout, la question se pose de la justification de ce DVD. Ce concert a déjà été publié l’an dernier en CD, par Delos, sous le titre « Verdi Opera Scenes » (voir compte rendu), mais découpé de manière légèrement différente, puisqu’il inclut le duo d’Amelia et de son père dans Simon Boccanegra, mais ni l’air de Valentin, ni l’extrait d’Ernani. Le disque audio offre en outre trois bis : l’air de Roussalka et « Vissi d’arte » pour la soprano, et la sérénade de Don Juan pour le baryton. Si le minutage du CD n’était déjà pas très généreux (55 minutes), celui du DVD est franchement chiche : une grosse demi-heure de musique si l’on déduit les applaudissements. Le montage comporte plusieurs zones d’ombre, et l’on devine qu’il a dû y avoir un entracte quand les deux chanteurs reviennent différemment vêtus pour une hypothétique deuxième partie commençant avec « Avant de quitter ces lieux ». On s’étonne aussi de la présence énigmatique d’une armée de jeunes choristes debout derrière l’orchestre : ils n’interviennent jamais, ni sur ce DVD, ni dans le CD.
Dans ces conditions, quel peut être l’apport de l’image ? Au jeu marmoréen du Russe, la lippe méprisante, s’oppose le frémissement de l’Américaine, que l’on voit par deux fois se jeter aux genoux de son partenaire, dans Le Bal masqué comme dans Le Trouvère. Applaudi à tout rompre, Hvorostovsky daigne sourire de toutes ses dents après chaque air, cependant que des admiratrices se pressent pour lui apporter des bouquets plus ou moins modestes, et ce dès les premières acclamations. Détail pittoresque : une présentatrice annonce en russe chaque air, dont le titre en cyrillique apparaît parfois à l’écran. Un DVD extrêmement dispensable.