Eternel problème de l’opéra-comique français : comment faire en sorte qu’il intéresse et touche le public d’aujourd’hui ? Les codes en paraissent si désuets qu’on se demande par quelle magie l’on pourrait transcender la bêtise de certains livrets, ou disons plutôt leur charme naïf. Des dialogues parlés qui semblent interminables, une intrigue limitée à trois fois rien… Electrochoc ou restauration prudente, quelle serait la meilleure solution ? Le Chalet d’Adolphe Adam est riche de fort belle musique, et n’est pas si loin de La Dame blanche de Boieldieu, antérieure d’une dizaine d’années. On aimerait revoir cette œuvre un jour sur une scène française, ce qui ne semble hélas pas être pour demain. En attendant, l’Opéra de Toulon a eu le courage, en ouverture de saison 2016-17, d’en proposer une version de concert.
Evacuer l’aspect visuel ne suffit pourtant pas à surmonter toutes les difficultés, à commencer par le fameux texte dont Scribe était le co-auteur : pour l’occasion, les dialogues ont été entièrement réécrits et abrégés. Apparemment, l’auteur de cette révision n’est autre que Stéphane Topakian, créateur du label Timpani qui a enregistré l’œuvre en studio une semaine avant ledit concert. Non content d’en modifier la lettre, il s’est permis d’en moderniser un peu l’esprit. Peut-être en partie grâce à cette intervention, ces dialogues sont fort bien dits par les artistes, et l’essentiel est là.
Dirigé par l’excellent Guillaume Tourniaire, toujours très à son affaire dans la musique française, l’orchestre de l’Opéra de Toulon livre une ouverture élégante, et cette délicatesse de ton ne se dément pas durant le reste de l’œuvre, qui conserve toute sa vivacité. La participation du chœur maison permet une véritable intégrale (la version récemment publiée par Malibran omettait cet aspect de la partition, or le chœur est présent dans six des dix-sept numéros musicaux que l’on compte sur le disque Timpani) ; leur texte n’est pas toujours très intelligible, mais ce n’est pas très grave.
Si l’on passe aux solistes, on commencera par avouer un gros coup de cœur pour l’exquise Jodie Devos, qui succède tout à fait dignement aux grands sopranos légers que la France possédait jadis : on songe à Liliane Berton, par exemple. Son soprano léger, le piquant et le sourire qu’elle a dans la voix permettent de rêver au retour d’œuvres comme Les Noces de Jeannette et autres titres injustement rangés au rayon des ringardises à oublier.
Bénéficiaire du seul air à être resté (un peu) présent dans les mémoires, ou du moins dans certaines, « Vallons de l’Helvétie », Ugo Rabec prête à Max un superbe timbre grave mais doté de l’agilité nécessaire pour interpréter un air à vocalises quasi rossinien. Et même si son nom ne l’indique pas, ce chanteur, ancien élève de l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris, est né en France et possède une diction parfaite. A l’écouter, on se demande quand sonnera enfin pour cette basse l’heure des grands rôles – dommage qu’il ait dû se faire remplacer en Raimondo dans Lucia en septembre dernier au TCE. On ne voit guère à lui reprocher qu’une sobriété de jeu qui l’empêche d’appuyer le moindre effet et peut-être de remporter des succès faciles auprès d’un certain public.
« Sauveur » de La Reine de Chypre en juin dernier, Sébastien Droy est le moins enthousiasmant des trois solistes. Dans ce répertoire, le ténor ne manque pas de qualités, mais ses premières interventions laissent entendre plusieurs aigus un peu tirés, comme si la voix touchait là ses limites.
Malgré tout, si cette belle parution ne suffit pas à donner des idées aux programmateurs, c’est qu’il y a vraiment quelque chose de pourri dans les théâtres français.