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Scipione

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CD
24 juin 2010
Le début d’une aventure

Note ForumOpera.com

3

Infos sur l’œuvre

Détails

Georg Friedrich HAENDEL (1685-1759)
Scipione
Scipione: Derek Lee Ragin (alto)
Berenice: Sandrine Piau (soprano)
Lucejo: Doris Lamprecht (mezzo)
Ernando: Olivier Lallouette (baryton)
Armira: Vanda Tabery (soprano)
Lelio: Guy Fletcher (ténor)
Les Talens Lyriques
Dir.: Christophe Rousset
Enregistré en juillet 1993. Initialement paru sous le label Fnac Music.
Remastérisé Little Tribeca 2010. APARTE 3 CD AP005.

Avec ce Scipione, introuvable depuis des années, c’est toute une époque qui se rappelle à nous, faste mais révolue. Fondés en 1991, les Talens Lyriques ont rapidement trouvé le chemin des studios et déjà gravé des trios et ouvertures de Leclair, des motets de Couperin, de Danielis et du Mont, quand ils abordent, le 25 juillet 1993, aux studios de Radio France, leur première intégrale lyrique. C’est aussi une première mondiale : le rare Scipione de Haendel, que Christophe Rousset dirigeait dans sa version originale la veille à Beaune, n’a encore jamais été enregistré – et personne ne s’y est frotté depuis. Dans le rôle-titre, le jeune chef retrouve Derek Lee Ragin, qu’il vient de quitter quelques jours plus tôt sur l’enregistrement de la bande originale de Farinelli à l’Arsenal de Metz ! On comprend mieux la fatigue et l’exaspération qu’affiche Christophe Rousset sur les images tournées pour le making off du film de Gérard Corbiau. Tout s’enchaîne très vite et il n’est pas question de rater les opportunités qui se présentent. Le 24 juillet 1994, débutent les premières prises de l’Armida abbandonata de Jommelli, exhumée au festival de Beaune et diffusée par le label Fnac Music. Ewa Mala Godlewska, l’autre voix de Farinelli, campe cette fois la magicienne. Moins d’un an plus tard, le 4 juin 1995, l’abbaye de Fontevraud accueille les micros de Decca pour l’intégrale, toujours en première mondiale, de Riccardo Primo de Haendel, où brille un jeune contralto italien promis à un bel avenir : Sara Mingardo. En vrais pionniers, les musiciens défrichent, déchiffrent et enregistrent dans la foulée, sans toujours avoir le temps d’approfondir, mais il y a tant de partitions qui sommeillent…

 

Haendel travaille à une adaptation de La Superba d’Alessandro d’Ortensio Mauro avec laquelle il compte lancer la carrière londonienne de Faustina Bordoni, quand il apprend que l’arrivée de la cantatrice, annoncée à maintes reprises depuis la fin de l’été 1725, est finalement différée au mois de mars 1726. Pour faire patienter le public et satisfaire sa soif de nouveauté, il doit produire en quelques semaines un autre ouvrage. Son choix se porte sur le Publio Cornelio Scipione écrit par Antonio Salvi pour la saison du carnaval de Livourne en 1704. Contre toute attente, ce n’est pas Haym, mais le médiocre Rolli qui s’attelle à la préparation du livret. Dean et Knapp n’épargnent guère l’orgueilleux tâcheron et on ne peut que leur donner raison: « bien que long, verbeux, répétitif dans ses situations et alourdi par l’argument politique, le drame de Salvi est plus logique et cohérent que le foutoir de Rolli. » Celui-ci modifie ou réécrit tous les airs pour imprimer au texte sa marque personnelle, mais le prive de structure et de cohésion dramatique. « Rolli, concluent Dean et Knapp, semble incapable de concevoir un drame dans la durée ou d’adapter les œuvres d’autrui sans les frapper d’incohérence »[1]. Le sujet peut sembler assez rébarbatif, il connut pourtant un succès durable tant auprès des librettistes (Zeno et Piovene l’ont aussi exploité) que des peintres des XVII et XVIIIe siècles. Vainqueur de la Nouvelle Carthage, le général romain Scipion s’éprend d’une belle captive, Bérénice, fille du roi des Iles Baléares (Ernando). Après s’être fait violence et dans un élan de magnanimité, Scipion cède devant son rival, le prince celtibère Lucejo. Une intrigue secondaire, topos éculé du drama in musica, met en scène l’amour de Lelio, capitaine romain, pour une autre prisonnière, Armira. Le livret prévoit une septième protagoniste, Rosalba, la mère de Bérénice, mais le contralto Anna Vincenza Dotti déclare forfait et contraint Haendel à remanier in extremis l’opéra avant sa création le 12 mars 1726.

 

La précipitation et les contrariétés suffisent-elles à expliquer la faiblesse de Scipione ? Haendel connaît peut-être aussi une baisse de régime et s’essouffle après avoir donné, coup sur coup, trois authentiques chefs-d’œuvre: Giulio Cesare, Rodelinda et Tamerlano, composés entre février 1724 et février 1725. Les marivaudages tarabiscotés d’Alessandro, finalement créé le 5 mai 1726 avec les rival queens Francesca Cuzzoni et Faustina Bordoni, tendent à confirmer cette hypothèse. Haendel procédera à une véritable refonte de Scipione pour sa reprise en 1730, ne conservant que quatorze numéros du premier jet. En revanche, si le drame est bancal, le compositeur en sertit la trame de semi-précieuses et même de quelques gemmes de la plus belle eau qui justifient la réédition de cette unique gravure. Sans surprise, le Saxon dote généreusement les deux stars de la production : la soprano Francesca Cuzzoni (Berenice) et le castrat contralto Francesco Bernardi, dit Il Senesino (Lucejo). La première hérite notamment de deux très belles siciliennes: le délicieux « Un caro amante » et le lamento « Come onda incalza », mais elle crée aussi le fulgurant « Scoglio d’immota fronde », un air d’une virtuosité rarement égalée. Il ouvrira également le récital haendélien de Sandrine Piau, lui aussi accompagné par les Talens Lyriques et publié chez Naïve en 2003. La voix aura gagné en densité, en contrôle et en vélocité, mais la chanteuse possède déjà, en 93, la fougue, l’aplomb et cette grâce ailée qui n’appartiennent qu’à elle. Dans le texte qu’il signe pour cette réédition (« Scipione ou le début d’une aventure »), Christophe Rousset évoque avec admiration sa « Bérénice inoubliable, tout en fragilité et en vaillance, faisant preuve d’une maîtrise vocale époustouflante, mais surtout, et ce pour quoi j’ai toujours été attaché à son chant, parce qu’elle semble dessiner dans l’espace les courbes de son chant, musicienne et plasticienne à la fois : du grand art. »

 

Alors que Berenice manque de variété sur le plan dramatique, Lucejo donne une idée des ressources expressives de Senesino: du fiévreux « Parto, fuggo » à la plainte amoureuse en si mineur « Se mormora » en passant par le dilemme exacerbé de « Cedo a Roma », déchiré entre un larghetto résigné et un vigoureux concitato, il incarne le véritable héros de l’opéra. Doris Lamprecht lutte avec un instrument encore rebelle et peu flexible, mais elle a du tempérament et affronte crânement une partie ardue pour son jeune mezzo. Le prince amoureux trouve même des inflexions délicates et touchantes (« Se mormora ») qui feront chavirer les cœurs sensibles. Par contre, de Scipion, vidé de sa substance par Rolli, on ne retiendra guère que l’ample et puissant récitatif accompagné du III («  Il poter quel che brami »). Derek Lee Ragin ne peut transcender une matière aussi ingrate et ce rôle insipide n’ajoute rien à la gloire du contre-ténor, qui s’est déjà illustré avec brio dans Tamerlano, Giulio Cesare, Flavio et s’apprête à livrer un portrait tout en finesse de l’Orfeo de Gluck.

 

Le soprano gracile de Vanda Tabery sied à la coquette Almira et le baryton d’Olivier Lallouette, bien qu’un peu clair de timbre, sonne magnifiquement dans les deux airs dévolus à la basse Giuseppe Maria Boschi (Ernando). Du ténor Guy Fletcher (Lelio), Christophe Rousset ne souffle mot, silence pudique sur une prestation oubliable – dommage pour la très mozartienne aria « Del debellar gloria ». En revanche, Rousset commente avec enthousiasme, mais sans complaisance, la performance de son ensemble. S’il estime que sa direction aurait pu souligner davantage les contrastes, on lui sait gré de laisser la musique respirer et de ne surtout pas tenter d’animer artificiellement une œuvre désertée par le théâtre qui a, d’ailleurs, donné du fil à retordre aux metteurs en scène. En réécoutant Scipione, Christophe Rousset reconnaît son orchestre « pour les équilibres, la transparence, la lecture qui est toujours fondée sur la basse, car le claveciniste en moi parle toujours même au pupitre du chef ». Néanmoins, on peut rêver d’une pâte plus riche : le pupitre des cordes ne réunit qu’une dizaine de violons et altos, alors que la fosse du King’s Theatre en alignait facilement le double.

 

 

Bernard SCHREUDERS

 

 

 

 

[1] Winton Dean and John Merrill Knapp, Handel’s Operas 1704-1726. Oxford, Clarendon Press, p. 607-610.

 

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