Soprano dramatique née à Prague le 26 février 1878, Emmy Destinn, Kittl de son vrai nom (elle prit ce nom en hommage à son enseignante), a eu une très importante carrière lyrique au tout début du XXe siècle, principalement sur la scène du Met, où elle créa La fanciulla del West en 1910, et au Covent-Garden de Londres. Elle a aussi été la première interprète du rôle de Salomé à Berlin et à Paris, œuvre dans laquelle on dit qu’elle exploitait à merveille sa puissance dramatique, y compris physique. Son influence ne s’est pas limitée au domaine lyrique : sympathisante de plus en plus déclarée des mouvements politiques favorables à l’indépendance de la République tchèque, alors sous la coupe des Autrichiens, – au point de revenir à un nom plus slave, celui d’Ema Destinnová -, elle a, pendant une partie de la première guerre mondiale, été assignée à résidence dans son château de Stráz nad Nežárkou en Bohème du Sud. Elle a aussi mis son art au service de son patriotisme, incarnant avant comme après la guerre, à Prague, l’héroïne de l’opéra de Smetana, Libuše.
Valérie Hanotel, ancienne grand reporter et critique littéraire, a choisi cette trame pour bâtir un roman fort sympathique qui promène l’héroïne de la République tchèque en voie de formation entre l’Europe en guerre et New-York, dans les coulisses du Met. Emmy Destinn y croise Giacomo Puccini, Giulio Gatti-Casazza, légendaire manager du Met pendant 27 ans, Enrico Caruso, bien caricatural, Toscanini aussi, et elle entretient une relation amoureuse et tumultueuse avec le baryton français Dinh Gilly (1877-1940, pensionnaire du Met de 1909 à 1914), assigné à résidence avec elle pendant la guerre. Surtout, Destinn se bagarre furieusement avec Geraldine Farrar – sa rivale américaine soupçonnée de sympathie pour Guillaume II en plein conflit mondial – qui lui piqua pendant plusieurs années des rôles comme Butterfly. Elle cherche aussi à semer les espions de l’Empire, alors qu’elle tente de tirer profit de son statut de star pour jouer un rôle de porte-valise entre les patriotes tchèques exilés aux Etats-Unis et à Londres et ceux restés au pays.
Le tableau est de qualité, le style simple et efficace, et la trame, à défaut d’être palpitante, se suit très agréablement. Sans doute le contexte lyrique aurait-il pu être approfondi, la vie imaginaire du Met encore enrichie, les moments proprement musicaux multipliés. Mais l’ensemble donne un bon roman très agréable, pour amoureux de l’art lyrique sur fond historico-politique.
Jean-Philippe THIELLAY