« Le Docteur Miracle de Lecocq n’a connu qu’un seul enregistrement, réalisé en 1972 avec Christiane Château, Lina Dachary, Michel Hamel et Bernard Cottret » écrivions-nous en 2013 à propos d’un nouvel enregistrement du Docteur Miracle de Bizet. Erreur ! car une première version avait été réalisée une vingtaine d’années auparavant, qui resurgit fort opportunément grâce à Cameo Classics, filiale du label Lyrita, spécialisé dans la musique britannique. De fait, c’est de Londres que venait l’initiative de cet enregistrement, où l’orchestre et le chef sont britanniques. Mais le responsable était français, puisqu’il s’agissait de Jacques Brunius (1906-1967), acteur pour Buñuel et Jean Renoir, animateur de l’émission « Les Français parlent aux Français » à la BBC pendant la guerre. Ayant épousé en deuxièmes noces une actrice anglaise, Brunius conserva après 1945 un pied de part et d’autre de la Manche, et produisit ainsi ce Docteur Miracle pour la BBC. Double Miracle, d’ailleurs, car ce coffret propose, comme cela aurait dû aller de soi depuis toujours, les deux compositions des lauréats ex aequo du concours lancé par Offenbach en 1856 : Bizet sur un CD, Lecocq sur l’autre.
Autorité britannique en matière de zarzuela, Christophe Webber nous rappelle dans le livret d’accompagnement l’origine non moins britannique du livret, conçu par Halévy et Battu d’après St Patrick’s Day, farce de Richard Brinsley Sheridan (qui avait lui-même adapté en 1775 une comédie italienne). Stanford Robinson fit une belle carrière, tant en fosse que dans les studios d’enregistrement, et il a le grand mérite de prendre au sérieux deux partitions qu’on aurait tort de traiter à la légère. A la même époque, l’opérette était rarement aussi soignée en France.
Peut-être grâce à Jacques Brunius, le quatuor de solistes est aux trois quarts francophone. Sur le papier, une ombre d’inquiétude pointe à la lecture du nom de l’interprète du rôle de Silvio/Pasquin : Alexander Young. On aurait bien tort de s’alarmer, car ce ténor anglais s’exprime dans un français réellement excellent, même dans les dialogues parlés, où l’on entend certes une pointe d’accent, mais rien de rédhibitoire, bien au contraire. Sa voix de ténor léger convient parfaitement à ce répertoire, et le style est parfait.
Bernard Lefort, plus connu à présent comme Directeur de l’Opéra de Paris après Rolf Liebermann, aurait pu faire une plus longue carrière de baryton si une grave maladie ne l’avait interrompue en 1960. Malgré sa jeunesse (il n’avait que 32 ans à l’époque de l’enregistrement), il campe un barbon très convaincant, et son Podestat a toute l’autorité nécessaire.
Dans l’après-guerre, Claudine Collart fut la protagoniste de quantité de résurrections radiophoniques. Nous avons déjà eu plusieurs fois l’occasion de vanter ses mérites comme interprète d’Offenbach, mais aussi chez Hérold ou Chabrier. Elle est ici une jeune première aussi pure et innocente qu’on les aimait dans les années 1950, mais sait aussi faire preuve d’une espièglerie exquise.
Mais le coup de génie fut sans doute de proposer Véronique à la grande Fanély Revoil, reine de l’opérette, modèle de truculence dans les dialogues parlés (écoutez son cri lorsqu’elle lit la lettre annonçant l’empoisonnement du Podestat !), et dotée de tout le grave souhaitable pour donner son poids à cette lointaine héritière de la Béline du Malade imaginaire.