C’est un grand livre de musicologie qui vient d’être enfin traduit. Emotion and Meaning in Music, lors de sa parution en 1956, incarnait une approche sans égale : Meyer, le premier, utilisait les ressources combinées de la Gestalttheorie, de la pragmatique et de l’ethnomusicologie pour comprendre, dans l’esprit, le fonctionnement de la perception musicale et pour réaliser, sur les œuvres mêmes, des analyses de structure. Il tissait dès lors un lien extrêmement puissant entre perception et composition, postulant que l’une et l’autre se rassemblent dans de grands schèmes formels généraux.
Ainsi, par exemple, le processus de tension-résolution, qui gouverne à la fois le déroulement temporel de la phrase musicale ainsi que le les anticipations auxquelles nous procédons lorsque nous écoutons une phrase, et qui visent pour la plupart à résoudre les tensions harmoniques élaborées par le compositeur. L’esprit anticipe une conclusion possible, puis compare son hypothèse avec celle, infiniment plus riche, plus surprenante, et plus cohérente avec l’ensemble de l’œuvre, qu’a tracée le compositeur. Ainsi par exemple l’identification de patterns au sein des œuvres musicales, blocs dynamiques rendus identifiables par le compositeur lui-même.
Bref, lorsque l’on connaît l’évolution de la musicologie des cinquante dernières années, l’on comprend que les travaux de Meyer ont eu une influence déterminante. De ce point de vue, il est assez inexplicable que Meyer n’ait pas trouvé plus tôt, comme ce fut le cas pour Rosen, par exemple, son traducteur français. C’est d’autant plus dommage que Meyer a inspiré nombre de musicologues français : Robert Francès, Michel Imberty, Daniel Charles, qui n’ont pas toujours mentionné ce qu’ils lui devaient aussi explicitement qu’on l’aurait pu souhaiter. Dommage aussi que cette parution ait lieu si tardivement : les compositeurs sériels et spectraux français auraient souvent gagné intégrer à leur processus de composition les analyses de Meyer sur la perception des patterns.
Si cet ouvrage conserve cependant une part d’actualité, cela tient à trois points fondamentaux :
– L’émergence du courant néo-tonale, dont les œuvres sont avant tout fondées sur une composition par patterns facilement identifiables montre bien que les analyses de Meyer n’ont pas perdu de leur pouvoir heuristique, et qu’elles ne sont pas liées à l’étude d’un répertoire du passé.
– L’étoile des gestaltistes a quelque peu pâli, mais les concepts clés de l’ouvrage ont été, dans l’ensemble, repris par les sciences cognitives qui recueillent l’héritage de Wertheimer et de Koffka.
– Enfin, les analyses musicales, fondées sur des exemples sur partition nombreux et développés, sont des modèles de commentaire, et montrent tout ce qu’un regard perspicace et attentif peut élucider dans les sinuosités d’un Prélude et fugue de Bach ou d’une Symphonie de Beethoven.
Hugues Schmitt