Le récent et beau « duel » publié dans ces colonnes, qui opposait Renata Tebaldi à Leontyne Price dans le rôle de Leonora, s’est terminé aux dépens de la seconde par KO. Cela s’explique aisément : dans La Forza, tout est question de style, et rares sont les cantatrices à y avoir excellé, comme la merveilleuse Martina Arroyo. Nina Stemme, qui fut notamment une éblouissante Isolde à Bayeuth et une non moins intéressante Aïda à Zurich, y est exceptionnelle : autorité, plénitude de la voix, puissance, véritable sens de l’expression dramatique, elle nous offre en sus, dans l’air « Pace, pace », le grand frisson que l’on ressent si rarement aujourd’hui. Nina Stemme est bien l’une des quelques rares tragédiennes lyriques actuelles, capable de véritablement construire un personnage, d’en explorer toutes les composantes, et de le pousser dans ses derniers retranchements. Dans La Forza, cela est d’autant plus important que l’œuvre, tout autant que le rôle, ne sont pas des plus évidents à jouer, et imposent justement ce genre d’investissement. Cela établi, qu’importe le flacon, Nina Stemme serait tout aussi émouvante en concert, et la mise en scène plutôt ridicule de David Poutney, qui mêle les lits d’hôpitaux aux femmes légères du far-West côtoyant des ayatollahs, ne parvient pas à la détourner de la route qu’elle s’est tracée.
A ses côtés, le Don Carlo di Vargas de Carlos Álvarez est tout à fait excellent, dans la grande tradition des barytons verdiens : la voix est belle, sombre à souhait, le phrasé et les respirations parfaitement maîtrisés, le jeu affirmé sans être outré. C’est une très bonne idée d’avoir confié les rôles du marquis de Calatrava et du padre Guardiano au même interprète (Alastair Milnes), car la rencontre de Leonora avec le second, après la mort du premier, est toute freudienne ; la voix d’Alastair Milnes est parfaite dans chacun des cas, et la sobriété de son jeu parfaitement adaptée aux deux personnages. En revanche, le regretté Salvatore Licitra est malheureusement moins à l’aise avec Alvaro : criant plus que chantant, il nous propose une interprétation outrée qui n’est pas en rapport avec le reste de la distribution. Tiziano Bracci est un Fra Melitone bien dans la tradition. Quant à Nadia Krasteva, qui interprète en ce moment Preziosilla un peu partout, y compris récemment à Paris (voir le compte-rendu de Julien Marion), elle a pour qualité essentielle d’être capable d’alléger. Mais, sans être la pire des Preziosilla, elle reste quand même assez approximative en ce qui concerne les notes, et plutôt vulgaire. Il faut dire que son déguisement en Calamity Jane d’opérette ne fait rien pour l’aider…
Certains diront que trois chanteurs d’exception sur toute une distribution, ce n’est pas suffisant pour faire d’une captation un document de référence. Certes, mais pourtant l’ensemble, avec ses outrances, se laisse regarder, même si l’incrédulité (jusqu’où vont-ils aller dans la débilité de la mise en scène ?) force l’attention. C’est que l’indispensable liant est assuré par Zubin Mehta, chef souvent surévalué, qui joue ici brillamment et efficacement avec toutes les ficelles du drame, suivi par un orchestre et des chœurs de très haut niveau. Le film est plutôt bien réalisé, dramatiquement efficace. Brochurette de douze pages en trois langues, sous-titres en sept langues, aucun bonus.