Vous aimez Marcelo Alvarez ? Vous avez raison. Mais si vous aimez aussi Le Trouvère, vous vous contenterez du DVD Deutsche Grammophon immortalisant une représentation du Met où le ténor argentin a pour partenaire quelques-uns des meilleurs verdiens du moment : Sondra Radvanovsky, Dmitri Hvorostovsky et Dolora Zajick. Cette nouvelle captation, en provenance du Teatro Regio de Parme, comme la plupart des spectacles de l’intégrale « Tutto Verdi », n’ajoutera pas grand-chose à la gloire d’Alvarez, ce rôle de troubadour atteint de jalousie pathologique (il lui suffit d’un soupçon pour insulter sa bien-aimée, « Infida ! » au premier acte, « Infame ! » au dernier) n’ayant pas forcément beaucoup en commun avec des héros comme Werther, dans lesquels il s’est fait remarquer. Le vrai problème de ce DVD, c’est le redoutable manque de charisme vocal des autres protagonistes, si bien qu’au lieu du mouton à cinq pattes que devrait être le cast du Trouvère, la pauvre bête tient péniblement en équilibre sur une patte. Ou peut-être deux, si l’on inclut l’excellent Ferrando de Deyan Vatchkov, malgré des postiches qui le rendent ridicule en tentant de le transformer en vieillard.
De Claudio Sgura, qui sera Jack Rance en février 2014 à Bastille, d’autres ont déjà souligné les défauts vocaux : « timbre pas toujours séduisant » en Barnaba de La Gioconda, « les fêlures de son émission » en Sharpless de Butterfly. Son Luna ne parvient à aucun moment à devenir un personnage de premier plan, et la voix sonne souvent bien engorgée. Mzia Nioradze est une Azucena vociférante, dénuée de tout mystère, au grave sourd et à la diction peu claire, qui réduit la bohémienne à une figure caricaturale. Quant à Teresa Romano, son soprano obligé de crier tous les aigus est peut-être acceptable en Leonora de La Force du destin, mais il est tout à fait déplacé en Leonora du Trouvère, malgré une certaine aisance dans le bas de la tessiture. Ce n’est pas la direction du vétéran Yuri Temirkanov qui sauvera la situation, tantôt poussive et lourde, avec des airs d’harmonie municipale, tantôt brutale, à l’emporte-pièce.
Quant à la mise en scène, il n’y a pas non plus beaucoup à en attendre. Respecter le cadre médiéval du livret est évidemment une option tout à fait défendable, et le choix a été fait ici d’un dépouillement assez esthétique : bien connu comme complice habituel de Gilbert Deflo, William Orlandi propose un plateau blanc et nu, vallonné et rocailleux, dominé par une énorme pleine lune et égayé de quelques accessoires selon les tableaux : une statue de cheval que Leonora caresse langoureusement, deux cyprès où est accroché un long voile blanc, à l’arrière-plan, la silhouette caractéristique du Castel del Monte, plus ou moins rapprochée. Il faut accepter ce vaste désert en guise de cachot au dernier acte. Dans ce cadre, les chanteurs livrés à eux-mêmes errent comme des âmes en peine, les mouvements sont réglés de façon assez quelconque, le pire étant atteint avec un chœur de l’enclume où les choristes bras dessus, bras dessous, se balancent de gauche à droite dans la meilleure tradition des fêtes de la bière. Directeur artistique du Teatro Massimo de Palerme depuis 2005, Lorenzo Mariani jouit d’une certaine réputation ; on supposera que ce Trouvère ne l’a guère inspiré, ainsi que l’avaient souligné Antoine Brunetto et Christophe Rizoud lors de la reprise du spectacle à Venise en 2011. Il a d’ailleurs entièrement revu sa copie pour la Nice en février 2012, au point que le résultat final n’avait visuellement plus aucun rapport avec celui donné deux ans avant à Parme.