On savait le pape Benoît XVI très attaché à la musique. Lui-même, pianiste amateur de bon niveau (paraît-il), a émaillé son pontificat de nombreux événements artistiques, à Rome ou lors de ses voyages. C’est le premier de ces concerts « pontificaux » que nous propose le présent CD, avec la venue au Vatican d’ensembles musicaux issus de la terre natale de Joseph Ratzinger, la Bavière.
Les Regensburger Domspatzen ont la tâche redoutable d’ouvrir les festivités. Si on veut traduire littéralement leur nom, cela donne quelque chose comme : « les moineaux de la cathédrale de Ratisbonne ». Hélas, les pauvres volatiles sont visiblement tendus par la solennité de l’occasion et la présence d’un aussi auguste personnage dans l’assistance. Cela nous vaut un Kyrie de Palestrina à l’intonation approximative, où les différentes voix ont tendance à … voleter dans tous les sens. Le morceau suivant ne contribue pas à remonter l’intérêt : il s’agit d’une pièce écrite par le frère du pape, Georg, complètement anecdotique. Quand se conjuguent médiocrité de l’œuvre et interprétation erratique, on est tenté d’éjecter le CD de l’appareil. Heureusement, les choses s’arrangent dans le Mendelssohn qui suit, « Denn er hat seinen Engeln befohlen », rendu avec la douceur qui sied à ce motet, ouvragé comme de la dentelle. L’ Ave Verum et l’extrait du Christus de Liszt sont d’une honnête facture, le chœur d’enfants bénéficiant ici de l’appui solide du philharmonique de Munich, sous la baguette précise de Christian Thielemann. Mais on avoue préférer ces œuvres chantées par un chœur d’adultes, avec l’incomparable moelleux des voix féminines.
Les choses vraiment sérieuses ne commencent qu’une fois les petits moineaux assis, lorsque le plus célèbre Kapellmeister d’Allemagne lance ses troupes dans les deux superbes préludes du Palestrina de Pfitzner. Ici, on sent le chef à son affaire, ravi de dérouler sous nos oreilles le tapis des complexités harmoniques d’un compositeur trop négligé, qui a prolongé le romantisme avec beaucoup de science et d’originalité. Le Te Deum de Verdi, redoutablement difficile à mettre en place et à équilibrer, avec ses innombrables ruptures de ton, est réussi (même si on reste loin de la référence en la matière : Riccardo Muti), grâce à un Chœur Athestis de Munich bien préparé et homogène. Mais on sent le chef pressé d’arriver à ce qui sera le clou du concert : une Ouverture de Tannhäuser chauffée à blanc, tour à tour marmoréenne et sensuelle, qui cloue les auditeurs sur leur chaise. Cependant, pour une assemblée de prélats, était-il bien raisonnable de choisir un morceau où les délices de la chair sont chantés avec tant de ferveur ? Les déferlements de la partie médiane sont comme une coulée de lave, et on n’ose imaginer l’effet de cet hymne à Vénus sur l’imagination délicate des cardinaux de la Curie, voir sur le Saint-Père lui-même. Même les dernières mesures, avec le thème des pèlerins chanté majestueusement par les cuivres les plus beaux d’Allemagne, ne peuvent dissiper le malaise. Christian Thielemann, que certains voient comme un conservateur un peu carré, est-il un révolutionnaire qui s’ignore ?