Romeo Castelluci vient de signer à l’Opéra de Lyon une production de Jeanne au bûcher qui a déjà fait couler beaucoup d’encre. Peut-être serait-il opportun qu’il se penche sur Le Roi David du même Honegger, pour redonner à cette œuvre une actualité qu’elle semble avoir perdue ces dernières décennies. La musique en est belle, tout à fait représentative d’une certaine modernité des années 1920, proche de ce qu’écrivait à la même époque Darius Milhaud avec L’Homme et son désir, et il est dommage qu’on ne puisse l’entendre plus souvent.
Evidemment, par rapport à Jeanne, cet autre oratorio signé par l’Helvète du groupe des Six souffre de ne pas s’appuyer sur un texte signé par Claudel, mais par le nettement moins connu René Morax, et d’être l’adaptation d’une série de musiques de scène composée pour une pièce de théâtre, d’où peut-être un résultat moins cohérent que Jeanne au bûcher. On a vu récemment apparaître plusieurs enregistrements de la partition sous sa forme originale, pour petit ensemble instrumental, mais il s’agit ici de la version remaniée pour grand orchestre, avec récitant remplaçant les acteurs du drame dont il résume l’action, trois voix solistes et chœur. Au total, les solistes ont assez peu de choses à chanter, les chœurs étant bien plus souvent sollicités, sans oublier les différents fragments pour orchestre seul.
Jusqu’ici, on trouvait surtout au catalogue plusieurs disques déjà anciens : citons notamment la version de 1957 avec Andréa Guiot, Christiane Gayraud et Camille Maurane, celle de 1962, dirigée par Ernest Ansermet, avec notamment Suzanne Danco, ou celle de Charles Dutoit en 1973 (Christiane Eda-Pierre, Jeannine Collard et Eric Tappy). Malibran vient en ajouter une, qui peut se prévaloir de sérieux atouts. D’abord, la direction de Serge Baudo, auquel on doit aussi une des belles intégrales de Jeanne au bûcher. En 1962, le chef français venait d’être nommé à l’Opéra de Paris, qu’il dirige ici, et sa carrière commençait à peine. En 1987, il remettra d’ailleurs l’ouvrage sur le métier, avec Daniel Mesguich en récitant. Ensuite, la présence du Chœur Elisabeth Brasseur, une référence dans ce genre de répertoire : intelligibilité constante du texte, précision rythmique, ferveur presque naïve de l’interprétation. Le nom d’Henri Doublier (1926-2004) ne dira peut-être pas grand-chose aux plus jeunes, mais il fut en 1950 appelé par la direction de l’Opéra de Paris pour remplacer Jean Vilar comme récitant dans Jeanne au bûcher, et il fut sollicité par Georges Auric en 1962 pour plusieurs mises en scène Salle Favart, notamment celle du Zoroastre de Rameau en 1964.
Les solistes, enfin. Peu connu du grand public, lui aussi, le ténor Jacques Pottier assura pourtant à l’Opéra de Paris la plupart des grands rôles du répertoire dans les années 1960 (on peut notamment l’entendre en Premier Philistin dans le Samson et Dalila enregistré par Georges Prêtre). Sa voix bien timbrée en fait un David plus convaincant que certains titulaires trop légers pour le personnage. La grande Denise Scharley assure les quelques pages confiées à une mezzo, trop peu nombreuses, hélas, pour qu’elle puisse y déployer tout son talent. Quant à Jacqueline Brumaire, dont le legs discographique est injustement négligé aujourd’hui, ce disque vient nous rappeler quelque grande artiste elle fut, à travers les quelques interventions plus exigeantes que le compositeur requiert de la soprano.