Septième volume d’une série mal définie, mais qui semble bien – petit à petit – s’orienter vers une sorte d’intégrale des lieder de Schubert, réalisée chaque fois avec un pianiste différent, le plus récent des enregistrements de Matthias Goerne est, qui s’en étonnera, une réussite magistrale. Ni l’auteur des textes, ni l’année de composition, pas même les thèmes abordés, rien d’apparent ne constitue un véritable fil conducteur pour mener l’auditeur d’un lied à l’autre, ou d’un disque à l’autre. Et pourtant, la cohérence de chaque récital est parfaite, alternant subtilement les atmosphères dramatiques ou plus légères, des lieder les plus connus (Elrkönig ou Die Forelle) aux découvertes totales, réunissant ces pages magnifiques par pure affinité, en toute liberté, sans devoir rendre de compte à personne. Goerne montre là tout à la fois une très profonde connaissance du répertoire schubertien et un sens de la construction dramatique très précieux; à l’écoute, le disque est un véritable récital, varié, jamais lassant.
Timbre cuivré d’une profondeur magnifique, puissance, souplesse, longueur de la ligne musicale, sens exceptionnel du legato, prononciation parfaite, intelligence du texte, voici à peu près comment on pourrait résumer, pour qui ne les aurait jamais entendus, la voix et l’art de Matthias Goerne. Ce serait ne rien dire de l’émotion qu’il soulève par tant de simplicité.
Ce sont assez naturellement les atmosphère sombres qui prédominent, une fois encore, dans cet enregistrement. Ce sont aussi celles qui conviennent le mieux à la voix du baryton, et sans doute aussi à son tempérament volontiers introspectif et nostalgique, mais sans amertume. Im Abendrot, Nachtviolen, An dem Mond ou Am See font partie de cette veine là, et donnent toute sa profondeur métaphysique au récital. Mais on y trouve aussi de la tendresse, beaucoup, de la violence, un peu, la grande mélancolie du romantisme. La légèreté (relative) est représentée par Alinde, Die Forelle, Fischerweise ou Auf der Bruck par exemple. Et dans tous les cas, l’expression de Goerne est parfaitement sincère, sans effet, sans sollicitation facile, juste.
On retrouve ici avec le plus grand plaisir le pianiste Andreas Haefliger, qui accompagnait déjà Matthias Goerne il y a quinze ans dans son premier enregistrement consacré à des lieder de Schubert sur des textes de Goethe (Decca). Communauté d’intention, même amour pour le répertoire, la complicité des deux artistes n’a fait que se renforcer avec le temps, semble-t-il. Leur mutuelle confiance leur permet à tous deux une grande liberté dans l’expression, sans compétition aucune. Et si l’on veut, par jeu, comparer l’Erlkonig de 1998 avec celui de 2013, on peut sans conteste affirmer que si la voix s’est un peu assombrie, la vision des deux artistes s’est épurée avec le temps ; avec moins d’effet, le propos est devenu plus percutant, plus dramatique, plus émouvant.
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Franz Schubert : « Erlkönig » (Lieder vol. 7) | Franz Schubert par Matthias Goerne