À l’été 1908, Arnold Schönberg découvre la relation amoureuse qu’entretient son épouse Mathilde – sœur du compositeur Alexander von Zemlinsky – avec le jeune peintre Richard Gerstl. Dans un accès de rage, Schönberg la chasse de leur domicile de vacances en Autriche, où il donne cours à tout un aréopage d’élèves, avant de passer la nuit à la chercher dans les environs. Mathilde le quitte pour s’installer avec Gerstl avant de renouer avec Schönberg quelques mois plus tard. Gerstl se suicide et Mathilde, rongée de remords, meurt d’un cancer en 1923.
Telles sont les grandes lignes de l’essai Le Satan (Bach ?) de la musique moderne, chant du cygne de l’écrivaine Gemma Salem (1943-2020). Si cet épisode méconnu de la vie de Schönberg est en soi une curiosité, l’édition proposée par Stéphane Héaume est un petit objet d’une grande poésie, transcendant à la fois la biographie du père de la musique dodécaphonique et celle de l’auteure. Car Gemma Salem, experte de Thomas Bernhard, vouait un véritable culte aux sujets sur lesquels elle travaillait jusqu’au jour de sa mort. D’innombrables documents consacrés à Schönberg attestent d’une recherche profonde, et il est à ce jour peu clair si ce bref texte d’une trentaine de pages ne devait pas être le germe d’un ouvrage bien plus conséquent. Le titre énigmatique, organiquement déconnecté du récit, en est un autre indice.
L’œuvre déborde la vie. Ainsi, le corps du texte est accompagné de la nécrologie de Gemma Salem, parue au Monde, d’une introduction de Stéphane Héaume, fils spirituel de l’auteure, et d’une postface du compositeur Richard Dubugnon, son fils biologique. Il en va de même pour Schönberg : trois poèmes essentiels dans l’histoire de l’œuvre de celui-ci – La Nuit transfigurée de Richard Dehmel ainsi que Litanie et Ravissement de Stefan George –, quelques photographies et plusieurs lettres des protagonistes agrémentent la partie principale, qui apparaît comme dans un écrin de métatextes.
Ce livre est un hommage à son auteure, qui se confond avec celui à son sujet, et c’est cette transparence qui en rend la découverte passionnante. La rentrée littéraire s’annonce mystérieuse.