Comme d’autres contre-ténor récemment – on pense bien entendu à Philippe Jaroussky qui sous le titre Opium enregistrait des mélodies françaises en 2009 – Andreas Scholl cherche en abordant un répertoire nouveau pour lui, un élargissement de ses horizons musicaux. Il se penche donc, en fin musicien qu’il est, vers le corpus à peu près sans limite des lieder de Schubert, Brahms, Haydn et Mozart, avec une sélection d’œuvres autour du thème du voyageur, un de ceux qui inspira largement les romantiques. L’errance comme remède à la déception amoureuse, voilà bien un sentiment propice à la délectation morose… Ce faisant, Scholl montre aussi son attachement à la grande tradition allemande qui place le genre du lied plus haut que tout.
Si le résultat est décevant, ce n’est certes pas parce que Scholl est un mauvais musicien, sûrement pas. Mais sa voix, qui a séduit les plus exigeants dans le répertoire baroque, Bach et Haëndel en particulier, ne convient tout simplement pas au répertoire du lied allemand. Elle évoque à merveille l’univers spirituel dans le répertoire religieux, mais beaucoup moins l’univers classique ou romantique des textes présentés ici : l’absence quasi totale de vibrato, une palette de couleurs forcément limitée, insuffisante pour rendre la subtile adéquation de la musique au texte, une certaine raideur dans l’inflexion sont autant d’obstacles infranchissables. Même si on se plaît à souligner son amour de la langue, une certaine intelligence poétique, le sens du phrasé et une acculturation évidente, la mastication du texte ne rentre pas dans la voix, l’émission vocale paraît artificielle, trop peu incarnée et le plaisir de l’écoute n’y est pas !
Deux plages du disque néanmoins suscitent une belle émotion : la plage 13, Das Tod und das Mädchen de Schubert, où Scholl utilise alternativement sa voix de tête et sa voix de baryton, d’une verdeur très émouvante et qu’on n’avait jamais entendue jusqu’ici, pour figurer les deux personnages du poème avec un contraste fort bienvenu; la plage 18 enfin, réservée à la pianiste seule, Tamar Halperin, qui après avoir accompagné avec beaucoup de sensibilité l’ensemble du récital livre une très poétique interprétation de l’Intermezzo opus 18 n°2 de Brahms, tout en retenue et d’une grâce infinie. Merci madame.