On croit déjà savoir qu’au printemps 2013, l’Opéra-Bastille donnera une série de représentations de Kitège, spectacle coproduit avec Amsterdam et Londres, dans une mise en scène de Dimitri Tcherniakov, qui a déjà monté l’œuvre pour ses débuts au Mariinski en 2001. Nul doute que cette nouvelle (?) production n’aura guère à voir avec le kitschouille walt-disneyesque de la version du Mariinski venue à Paris en 1994. A Cagliari, sans basculer dans la transposition de type béton/KGB qui nous menace avec Tcherniakov, le Lituanien Eimuntas Nekrošius opte pour une stylisation intelligente et refuse le naturalisme ridicule. Passé un premier acte trop uniformément brunâtre, cette esthétique de type « néo-primitivisme slave », fourrures et bois brut, recourt à un symbolisme qui évite le grotesque et les flots d’hémoglobine : des rubans rouges représentent le feu ou le sang versé, les animaux sont des silhouettes brandies par des machinistes. Quelques idées originales permettent d’éviter le côté carte postale – l’ivrogne Grichka Koutierma fait son apparition dans une louche géante suspendue au-dessus de la scène – et il faut reconnaître à cette production une grande lisibilité de l’action et une certaine habileté dans les mouvements de foules. Sous des éclairages habilement réglés, décors et costumes s’efforcent aussi, souvent avec succès, de proposer une alternative aux images d’Epinal de la « Russie éternelle ».
Tatiana Monogarova était en 2008 la Tatiana de Dmitri Tcherniakov dans la production du Bolchoï invitée à l’Opéra de Paris (DVD Bel Air Classiques, voir recension). Sa Fevronia n’a rien de la nunuche béate que nous montrait la version Gergiev : sans sacrifier le côté du mystique du personnage, elle sait lui conférer une robustesse et une espièglerie bienvenues. On admire surtout la générosité de son timbre crémeux, « flemingien », mais elle est hélas bien seule à planer à ce niveau d’excellence. Vitali Panfilov n’a pas tout à fait l’héroïsme éclatant que l’on souhaiterait au prince Vsevolod, et la séduction du personnage s’avère limitée, scéniquement et vocalement. De l’autre ténor, dans le rôle de Grichka, l’ivrogne frappé de folie, on n’attend pas les mêmes qualités, et Mikhaïl Gubsky, aux accents percutants,fait mieux que tirer son épingle du jeu. Mikhaïl Kazakov, quialternait avec Anatoli Kotcherga en Grémine dans l’Onéguine du Bolchoï, s’avère assez monolithique dans le rôle du père du prince Vsevolod, malgré sa belle voix de basse. De manière générale, les nombreuses voix graves de la distribution s’acquittent parfaitement de leur tâche, qu’il s’agisse de Poyarok ou des deux envahisseurs tartares. Elena Manistina, vue en Ulrica à Paris et à Strasbourg ces dernières années, est un luxe en ange Alkonost. Les quelques chanteurs italiens employés dans les petits rôles ont parfois un russe excessivement exotique (le Montreur d’ours, notamment). Pour cet avant-dernier opéra de Rimsky (seul Le Coq d’or suivra en 1909), dont le sempiternel rapprochement avec Parsifal n’est fondé que sur le mysticisme du livret, Alexandre Vedernikov offre une direction parfois un peu molle. C’est d’autant plus dommage que l’œuvre abonde en superbes épisodes symphoniques, comme l’ouverture, magnifique « hymne à la nature », ou la bataille de Kerjenetz.
Quelques remarques techniques pour finir : les sous-titres n’existent qu’en anglais ; certaines surfaces rayées passent très mal à l’écran ; et l’on déplore un agaçant décalage de quelques secondes entre le son et l’image, pour le premier des deux DVD.