La première de Die Liebe der Danae aurait dû avoir lieu le 11 juin 1944 pour le 80e anniversaire de Richard Strauss, mais le cours de la Seconde Guerre mondiale en décida autrement : cet opéra ne connut finalement du vivant du compositeur qu’une générale le 16 août – à cette occasion, Strauss déplora « la fin de la culture occidentale » – et sa véritable création n’eut lieu qu’à titre posthume. Hélas, le manque de curiosité du public et des directeurs d’opéra n’a pas permis à cette œuvre de s’imposer comme elle le mérite pourtant amplement.
C’est dans un décor nu, équipé d’un extincteur pour le moins incongru (heureusement, l’éclairage couleur d’or vient bientôt transfigurer la laideur des parois), avec des costumes situant vaguement l’action dans la première moitié du XXe siècle, que se déroule ce télescopage du mythe de Danaé avec celui de Midas. Kirsten Harms, intendante du Deutsche Oper à qui l’on doit notamment une assez grisâtre production de Germania de Franchetti (DVD Capriccio), parsème sa mise en scène de quelques belles idées : les huissiers qui saisissent toutes les grandes toiles représentant les amours de Jupiter dans le palais du roi Pollux, le piano suspendu aux cintres et la chute de pages de musique imprimée pendant la scène où Danae évoque la pluie d’or par laquelle Jupiter lui rend visite, même si on ne saisit pas forcément bien le symbole…
Manuela Uhl est scéniquement une très belle Danae, mais pour ce personnage initialement destiné à Viorica Ursuleac, on aurait aimé que l’interprète déploie des aigus plus épanouis, une voix globalement plus opulente (également au Deutsche Oper, également pour Kirsten Harms, elle était en 2009 dans La Femme sans ombre une Impératrice un peu acide). Confronté à un de ces rôles de ténors que Strauss se plaisait à sacrifier, Matthias Klink fait ce qu’il peut en Midas. Son physique avantageux et son aisance scénique l’aident à surmonter les limites d’un timbre par trop léger, qui s’illustre d’ordinaire dans des rôles comme celui de Jaquino qu’il a chanté un peu partout. Le Jupiter de Mark Delavan fait très mauvaise impression à son entrée en scène : voix engorgée, étranglée dans l’aigu. Il se montre plus à l’aise dans la conversation en musique à la Ochs von Lerchenau, et l’acteur joue sur le registre de la bonhomie plutôt que sur celui de la majesté. Heureusement, le chanteur finit par se chauffer et la conclusion du deuxième acte est beaucoup mieux maîtrisée. Les qualités de ce Wotan (en 1944, Hans Hotter était Jupiter) se révèlent pleinement au dernier acte, avec le fameux monologue dans lequel il se résigne à perdre Danae.
En dehors de ce trio, le livret ne permet guère aux autres personnages d’exister vraiment. Les quatre ex-amantes de Jupiter forment un délicieux quatuor, mais la mise en scène leur impose une apparence uniforme sans chercher à les caractériser individuellement. L’excellent jeune ténor belge Thomas Blondelle fait une amusante apparition en Mercure. Hulkar Sabirova marie agréablement sa voix à celle de Danae dans l’unique scène que lui accorde Joseph Gregor. Andrew Litton dirige avec fluidité le chœur et l’orchestre du Deutsche Oper, dans cette partition dont les dernières scènes, à partir de l’intermède orchestral intitulé « Renonciation de Jupiter », sonne déjà comme le tout dernier Strauss. Ce n’était donc peut-être pas encore la fin de la civilisation occidentale, puisque Capriccio et les Quatre Derniers Lieder restaient à venir, mais le départ de Jupiter sonne incontestablement comme des adieux au monde.
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