A 85 ans, l’heure de la retraite n’a pas encore sonné pour Richard Bonynge. Même s’il ne dirige plus aussi souvent d’orchestre, même s’il n’est plus sous contrat chez Decca, le chef australien n’en poursuit pas moins le travail entrepris sur Massenet dans les années 1970, lorsqu’il grava plusieurs intégrales qui n’ont toujours pas été détrônées. Sa curiosité inestimable ne se bornait pourtant pas aux opéras du Stéphanois : en qualité de pianiste, Richard Bonynge enregistrait dès 1976 un disque intitulé Massenet Songs avec la mezzo Huguette Tourangeau. Par ailleurs, on trouvera sur YouTube des extraits d’un concert de 1969 où Dame Joan Sutherland, avec son mari pour accompagnateur, interprétait des mélodies de Massenet ; vingt ans après, dans son concert d’adieu au Met, elle chanta notamment « Les yeux clos », qu’on retrouve sur le présent disque.
En la personne de Sally Silver, Richard Bonynge a trouvé une artiste qui, sans avoir les moyens immenses ni la technique unique de la Stupenda, n’en possède pas moins une voix fraîche et charmante, et surtout une diction française infiniment plus nette. Après un premier disque paru en 2013, la soprano sud-africaine nous revient avec une nouvelle sélection parmi les très nombreuses mélodies que Massenet composa au cours de sa longue carrière. Ce deuxième disque (un troisième est d’ores-et-déjà annoncé !) apporte quelques précieux plus par rapport au premier : pour surmonter l’écueil de la monotonie qu’il est souvent difficile d’éviter avec ce répertoire, on a eu l’excellente idée de faire appel à deux autres chanteurs, et donc de puiser dans les compositions pour plusieurs voix, mélodies en duo ou en trio. C’est là un facteur de variété extrêmement appréciable : sur les vingt-quatre plages que compte ce récital, sept mêlent les voix, Sally Silver laissant même à ses collègues une mélodie où elle n’intervient pas, « Le temps et l’amour ». On retrouve ici la violoncelliste Gabriella Swallow, qui apporte la riche sonorité de son instrument à trois mélodies. Par ailleurs, le programme a été composé avec le plus grand soin, alternant les plages très proches de l’opéra (le très dramatique « Dialogue nocturne », ou « Sainte Thérèse prie », pas si loin de Thaïs) et les morceaux presque naïfs (« La chanson du ruisseau »). Comme toujours, Massenet mettait en musique les poètes les plus obscurs – pour un Musset, combien de Landau, de Robiquet ou de Guérin-Catelain – mais quel métier, quel génie il savait déployer pour transformer le plomb en or !
Christine Tocci est une mezzo dont la voix se marie bien à celle de Sally Silver, avec un français tout aussi remarquable (on a pu l’entendre à Paris, à Rennes, à Montpellier ou à Monte-Carlo). En revanche, le ténor Nico Darmanin inspire quelques réticences : maltais comme Joseph Calleja, il est loin d’avoir la séduction vocale de son compatriote. L’acidité de son timbre et une articulation pas toujours très claire viennent un peu gâter un disque que, pour le reste, on ne saurait trop recommander.