C’est assez logiquement que Félicien Rops a été convoqué pour illustrer le livret d’accompagnement de ce disque très fin-de-siècle. Pour son premier disque, Sarah Laulan a réuni tout un aréopage de poètes décadents, de Baudelaire à Anna de Noailles, en passant par Moréas et Rimbaud. Jean Richepin donne son nom à l’album : Les Blasphèmes est le titre d’un recueil publié en 1884. La contralto a signé elle-même le texte en forme d’abécédaire où elle évoque cet univers intellectuel qui a guidé ses choix, pour un programme extrêmement intelligent, avec une belle dose de raretés.
Anne Sofie von Otter avait jadis consacré un disque entier à Cécile Chaminade, mais Sarah Laulan opte pour une mélodie bien plus âpre que ce qu’on entendait dans Mots d’amour, « Les deux ménétriers », sur un texte macabre de… Jean Richepin. On se réjouit d’entendre ici deux pages de Gabriel Dupont, compositeur mort trop jeune en 1914 et dont la redécouverte s’impose. On connaît bien mal Vincent d’Indy mélodiste, et c’est sans doute dommage, à en juger d’après « Pieusement » (1909). On reviendra bientôt sur Poldowski, pseudonyme de Régine Wienawski, car Delos vient de publier un disque entier de ses mélodies, où ne figure cependant pas le « Nocturne des cantilènes » retenu ici. Belle idée aussi que de regarder du côté d’Enesco.
Et même lorsqu’elle fréquente les stars de la musique, Sarah Laulan s’aventure encore loin des sentiers battus : « Un grand sommeil noir », du jeune Ravel (1895) n’est vraiment pas la mélodie la plus connue de son auteur, et c’est regrettable. Si la « Danse macabre » de Saint-Saëns est désormais chantée assez régulièrement, on n’en dira pas autant de « Violons dans le soir » ou de « Tournoiement ». Les deux Duparc ne sont pas non plus les plus ressassés. La Chanson perpétuelle de Duparc ferait presque figure de tube, par comparaison.
La chanteuse s’offre le luxe canaille de conclure par une chanson, le « Tango stupéfiant », immortalisé en 1936 par Marie Dubas, où sa diction incisive et son talent de comédienne font merveille. Tout au long de ce disque, on admire une voix aux notes graves d’une densité rares, qui justifient pleinement l’appellation de contralto. Revers de la médaille, le vibrato se fait sentir dans certaines notes tenues, et l’aigu semble parfois assez tendu.
On ne présente plus Maciej Pikulski, accompagnateur attitré de José Van Dam, qui bénéficie ici d’une plage pour lui seul, la « Danse païenne » de Cécile Chaminade. Mais il convient de saluer la belle idée d’avoir convié le Quatuor Hermès à joindre ses sonorités chaudes au piano pour quelques plages.