Les voix de femmes sont à l’honneur dans ce nouvel et superbe enregistrement de l’ensemble Diabolus in Musica. Antoine Guerber fait cette fois appel à trois sopranos et quelques instruments, généralement discrets, pour nous faire découvrir un répertoire rare et envoutant mettant en scène la parole féminine (aussi appelé la « féminité textuelle » dans le livret). Si la description du CD « Chansons & polyphonies des Dames trouvères » est sans doute imparfaite – les quelques chansons qui possèdent une attribution sont de la main d’un homme – il n’est pas interdit de penser que quelques-unes des chansons anonymes ici enregistrées aient pu avoir été composées par des femmes trouvères. Quoiqu’il en soit, l’interprétation des trois chanteuses allie magistralement la simplicité et la sensibilité, rendant le texte poétique proche et vivant, le tout sans ostentation.
Les chansons sont interprétées avec un naturel déconcertant, la prise de son est excellente et les arrangements – que ce soient les parties vocales ajoutées par Antoine Guerber pour transformer une monodie en une polyphonie ou l’accompagnement des instruments – sont très convaincants. Cependant, les quelques arrangements à plusieurs voix de chansons monodiques ne permettent pas toujours de déceler quelle est la mélodie qui a servi de support. Aussi, et à titre d’exemple, s’il ne connait pas initialement le rondeau Toy servir en humilité, l’auditeur ignore complètement quelle ligne est de la main d’Antoine Guerber et quelle ligne a été composée originellement par Jehan de Lescurel (fin du XIIIe siècle). De plus, on regrettera éventuellement l’absence de chanson monodique interprétée « à nue », c’est-à-dire sans aucun accompagnement. Les chanteuses Aino Lund-Lavoipierre, Estelle Nadau et Estelle Boisnard font indéniablement preuve d’une maîtrise suffisante pour nous transporter, par le simple pouvoir de leur voix, d’un bout à l’autre d’une chanson sans qu’aucun instrument ait à intervenir. Les seules chansons « a cappella » sont, dans cet enregistrement, polyphoniques. Soulignons notamment parmi celles-ci le rondeau Helas tant vi de male eure, qui est un véritable petit bijou à trois voix dont le style est très proche de celui de l’ars nova (XIVe siècle).
Le caractère des chansons, parfois contemplatif, parfois plus « vindicatif », ne laisse pas place à la monotonie. Ce CD, véritable ode à la voix et à la parole féminine du XIIIe siècle, est à recommander à toute personne désirant découvrir le répertoire du bas Moyen Âge. Quant au médiéviste connaisseur, il ne peut selon nous faire l’impasse sur ce nouvel opus de l’ensemble Diabolus in Musica.
Lars Nova