Places sans visibilité, suprêmement inconfortables, où l’on entend bien dès lors que l’on voit mal, et vice versa… Le monde est plein de ces salles qui devraient avoir été conçues pour que des êtres humains puissent agréablement y savourer concerts et spectacles musicaux, mais qui se révèlent souvent une torture pour les genoux, ou qui obligent à se boucher une oreille, voire les deux. Avons-nous su tirer la leçon des ratages passés ? C’est à la collaboration de deux entités, l’architecte et l’acousticien (ceux que Jean Nouvel appelle « gardiens des yeux » et « gardiens des oreilles »), souvent complétée par une troisième, le scénographe, que s’intéresse Antoine Pecqueur dans son livre. Si la pièce de résistance en est l’analyse détaillée de « Trente salles de concert et d’opéra », le lecteur est d’abord accueilli par soixante-quinze pages réunies sous le titre « Architecture et musique ». Un parcours historique nous conduit du Teatro Olimpico de Vicence (Palladio, 1585) au futur théâtre de Casablanca dessiné par Christian de Portzamparc, du York Buildings où furent jouées les œuvres orchestrales de Haendel, à la cité musicale de l’Ile Seguin qui ouvrira cette année. On note au passage que la musique symphonique est toujours mieux traitée : « Si les acousticiens sont allés très loin dans la réflexion sur l’acoustique des salles de concert, on ne peut pas en dire autant de l’opéra ». Chacun pourra hélas, d’après son expérience personnelle, confirmer cette réflexion. Pour des raisons économiques, la tendance est pourtant à la construction de salles « deux en un », pouvant accueillir l’art lyrique comme le répertoire orchestral : aux acousticiens de concevoir des formules modulables servant aussi bien l’un que l’autre.
Pour les « Trente salles » – dont les opéras de Lyon, Pékin, Copenhague et Oslo, tout de même –, quatre à dix pages abondamment illustrées de dessins, de plans et de photos permettent d’évoquer aussi bien l’architecture que la décoration intérieure et l’acoustique. Ces trente lieux ont été inaugurés entre 1988 (l’Arsenal de Metz, par Riccardo Bofill) et 2017 (la Philharmonie de l’Elbe à Hambourg, par Herzog et de Meuron). Ils se situent majoritairement en Europe, avec seulement deux aux Etats-Unis, deux en Chine, un au Japon et un au Brésil ; avec sept sites analysés, la France est assez gâtée. On rencontre des noms illustres : Jean Nouvel, avec pas moins de quatre salles, Renzo Piano, Frank Gehry, Rudy Ricciotti, Zaha Hadid… Les salles en question ont toutes été visitées par Antoine Pecqueur, qui ne manque pas d’en signaler les zones « anxiogènes » – espaces souterrains, bas de plafond, mal éclairés – ou « spartiates » – bancs inconfortables où le public doit se serrer. Les problèmes de coût et de rentabilité ne sont pas occultés, pas plus que les questions pratiques (fluidité de la circulation intérieure, desserte par les transports en commun) ou artistiques (temps de réverbération, taille de la fosse). L’avis des « usagers » est généralement sollicité : chef d’orchestre, instrumentiste, metteur en scène, chanteur, administrateur…, voire interview de l’architecte. L’auteur n’hésite pas à se montrer sévère avec les bâtiments ambitieux mais peu accueillants pour la musique.
Difficile de ne pas avoir des envies de voyage lorsque l’on découvre ainsi les merveilles qui ont été bâties pour la jubilation des mélomanes aux quatre coins de la planète.